AU RYTHME DES SAISONS
L'homme médiéval est dépendant de la nature. Une mauvaise saison le met en danger de famine. Les produits frais, fruits, légumes et même viandes, ne sont disponibles que saisonnièrement. Si l'attente fait partie du plaisir, l'angoisse n'est pas absente du calendrier.C'est pourquoi les grands moments de l'année, moissons, fêtes religieuses, font l'objet de débauches alimentaires et de mets particuliers, tels la galette des rois, des oeufs de Pâques ou l'agneau pascal.
1/ Viandes et poissons
L'approvisionnement ne vient pas de la chasse mais de l'élevage. Le boeuf fournit la plus grande partie de la viande; le Ménagier de Paris conseille d'en consommer la longe, la surlonge, la poitrine et le jarret, qui donnent les meilleurs bouillons. Ensuite viennent le porc, les moutons et les chèvres, fort appréciés des gens aisés.
Tous les milieux sociaux mangent de la viande, mais les morceaux diffèrent selon l'aisance. Pour les simples gens, les abats et les charcuteries surtout; sur les tables des nobles, les volatiles, y compris le paon et le cygne.
Au choix des morceaux se surimposent les variations saisonnières: la viande fraîche de porc est disponible en novembre ou en décembre alors que l'agneau n'apparaît qu'en mars, pour disparaître en juin. L'archéologie montre que, à la fin du Moyen-Âge, la découpe de la viande, plus élaborée, joue un grand rôle dans les recettes, et par conséquent, dans la gastronomie.
2/ Les produits de la mer
L'Eglise prescrit qu'un jour sur trois doit être maigre, d'où une forte consommation de produits de la mer ou de rivière. Plus de cinquante sortes de poissons de mer sont alors consommées. Les principaux commercialisés en Europe sont le hareng et la morue, mangés salés ou fumés. Carrelet, flet, limande, sole, turbot et carpe (un plat de roi), écrevisses, coquillages et même dauphin sont aussi appréciés.
3/ Beurre, oeufs, fromages
Les oeufs entrent dans la composition de nombreuses recettes, qui conviennent même aux tables de l'aristocratie, tels les oeufs farcis. Manger des laitages est jugé nécessaire: lait de chèvre, plus digeste, pour les enfants, lait de vache pour les tourtes ou la fromentée. Lait et miel font aussi une confiture appréciée. Les mets doivent être concoctés au lait non écrémé et sans eau, une fraude classique à l'époque.
Le beurre n'est pas la graisse la plus appréciée, sinon par les Flamands et les Bretons. Les Parisiens en usent en plus petites doses: une noix au fond de l'écuelle, sous la porée de légumes ou fourrée dans un petit pain chaud pour les malades.
Le fromage entre largement dans les recettes, frais ou sec, râpé ou coupés en lamelles et en dés. On en fourre les gaufres et les beignets, on en met dans le pâté d'anguille, et l'on marie volontiers le fromage frais, le lard et les fruits secs.
4/ Arômes, condiments et herbes
Les plantes entrent dans la majorité des compositions culinaires et même des boissons. La sauge aromatise le vin blanc et le houblon, emblématique de Jean sans Peur, la bière. Cerfeuil, basilic, céleri, pourpier enrichissent de leurs saveurs les bouillons de cuisson et les sauces, comme les herbes sauvages, la salade. Le persil, omniprésent, sert à la fois en porée et dans les sauces accompagnant les viandes.
Les végétaux constituent la base même de certaines recettes: pois au lard, lentilles aux oeufs et au fromage (une recette toscane), porée de bettes ou d'épinards, potage d'herbes au bouillon gras...
Les panais sont cuits en pâté en croûte avec du poisson, et la compote de navet au miel est un plat de choix. herbes et légumes permettent même au cuisinier d'élaborer des plats complexes et précieux, comme la tourte dite "de menues feuilles", à l'oeuf, au lard salé, fourrée de blettes, d'épinards, de menthe et de persil.
5/ Le pain
Ce n'est pas le cuisinier qui fait le pain. On s'adresse au boulanger pour obtenir sa ration quotidienne. Le pain, non salé, adopte plusieurs formes et noms, selon la région d'origine. Miches rondes en France ou en Flandre, pain navette et bretzel dans les pays germaniques. Pain mollet, pain de bouche, blanc, jaunet, bizette ou de griseriveté voire armé, tel le lourd pain noir, sans oublier le pain à chiens, fait d'orge, leurs noms les décrivent aussi bien que les images.
Selon leur nature (blanc ou noir), le poids des pains, calculé sur la base de la livre (environ 550g à l'époque), varie d'une demi-livre à quatre kilos. Chaque boulanger marque son pain d'un signe distinctif: croix, fleur de lys, étoile, croissant...
Le pain blanc, de froment, est réservé aux gens aisés; les autres mangent du seigle ou du méteil (mi-froment, mi-seigle). En temps de famine, pains de glands, de fève ou de châtaigne, cuits sous la cendre, à la maison, sont de rigueur.
6/ Les céréales
Les céréales sont encore la base de l'alimentation: elles entrent aussi dans la composition des bouillies, de certaines boissons (bières et cervoises), des gâteaux et du pain d'épices. Les pâtés, tourtes, galettes abondent dans la cuisine française et les pizzas (blanche ou royale), lasagnes, raviolis au sucre et autres pâtes sont prisés, surtout en Italie.
7/ Les fruits
Les fruits du potager sont rarement consommés crus. Néanmoins, on mange des cerises en apéritif et la poire en fin de repas, avant le fromage. Les fruits secs, servis en dessert, sont dégustés au naturel ou en tourtes à étages, chaque couche de pâte isolant une catégorie de fruit: amandes, noix, raisins ou dattes.
8/ Les fleurs
Même les fleurs sont consommées: les pétales de roses, distillés, entrent dans les sauces de viandes et de poissons. On met des fleurs de pêcher, d'aubépine, de sureau, d'aspérule dans le vin, pour l'aromatiser. En France, le cuisinier ajoute dans l'omelette des feuilles de violettes et, en Italie, il met les fleurs dans les salades.
9/ Les épices
Connues depuis l'Antiquité, les épices se sont diversifiées en cuisine dès l'époque carolingienne. Le consommateur médiéval apprécie les épices les plus rares en provenance des terres lointaines: le poivre long, rapporté d'Inde du sud-est et d'Insulinde. Le sucre le meilleur, de l'arabe sukkar, vient de "Babilone", c'est à dire du Caire ou d'Alexandrie.
Les herbes et les épices sont employées en cuisine pour leur goût ou leurs qualités nutritionnelles et chimiques; ainsi, la moutarde sert à attendrir la viande. Mais aussi pour leurs qualités médicinales: elles passent pour faciliter la digestion.
Enfin, mettons fin à une légende noire tenace sur la cuisine médiévale: jamais elles ne servent à masquer le goût des viandes trop faisandées, interdites à la consommation.