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Auteur : Philippe Année : 1358

 

LA REVOLTE D'ETIENNE MARCEL
LE ROYAUME EN DANGER

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Le contexte

Nous sommes en 1356. La Guerre de Cent ans bat son plein. La désastreuse défaite de Poitiers, au cours de laquelle le roi de France Jean le Bon (qui refusa d'abandonner son armée) fut fait prisonnier par les Anglais, va précipiter les événements.

 

carteFrance CharlesV1365

Son courage pendant la bataille sera néanmoins salué par les gens du peuple qui le surnommèrent Jean Le Bon, c'est à dire le Brave.

La défaite est suivie des préliminaires de Brétigny et du traité de Calais, qui devaient amputer la France de la moitié de son territoire,

Parallèlement, de graves troubles éclatèrent. L'autorité royale était gravement contestée et la noblesse accusée d'impéritie. On criait à la trahison.

Ce sont ces circonstances exceptionnelles que devra affronter, seul, le dauphin Charles. Selon les termes du Traité, le roi Jean ne devait être libéré que moyennant rançon de quatre millions d'écus d'or, en 1360.
Livré à lui-même, Charles lutta de toutes ses forces, souvent en rusant, face à des adversaires aussi déterminés que les Anglais, les Navarrais et les bourgeois de Paris, en révolte ouverte contre le pouvoir royal.

Une dynastie apparemment condamnée.

Mais, en apprenant les conditions de ce honteux traité, le dauphin et les Etats généraux se trouvent enfin d'accord. Ils en rejettent toutes les clauses.
On continuera donc la lutte contre l'Anglais. Ainsi, quand le roi ennemi débarquera en France pour se faire sacrer à Reims, il ne trouvera que campagnes désertes et villes
closes. Il ne tardera pas à repartir.

A Brétigny, la libération du roi Jean est obtenue à des conditions dures, mais relativement honnêtes. Le roi d'Angleterre se contentera d'une rançon de trois millions d'écus, renoncera à la couronne des Capétiens, mais conservera la Guyenne.

Le dauphin, futur roi sous le nom de Charles V, mit à profit cette période trouble pour devenir l'un de nos meilleurs souverains.

L'avènement d'Etienne Marcel.

Né à Paris en 1315, Etienne Marcel appartient à une famille de drapiers, dont la fortune est immense. Comme tous ceux de sa caste et sans doute encore plus qu'eux, il aspire au pouvoir politique dans le royaume.

Les graves difficultés auxquelles le dauphin Charles doit faire face lui offrent une opportunité inespérée de parvenir à ses fins et de faire triompher ses vues "réformistes".
Depuis 1355, il est Prévôt des marchands, c'est à dire une sorte de Maire de Paris avant la lettre. Sa fonction lui permettait de contrôler le commerce et, en fait, le
gouvernement de la capitale.

 

EtienneMarcel

Etienne Marcel

 

L'ouverture des Etats Généraux.

Créés en 1302 par Philippe le Bel, les Etats Généraux étaient des parlements régionaux, composés des représentants des trois ordres: clergé, noblesse et tiers état.

Ils étaient convoqués périodiquement par le roi, pour traiter d'importantes affaires concernant l'Etat. Les sujets sur lesquels les Etats sont consultés sont essentiellement
d'ordre financier, par exemple pour la création, la suppression d'un impôt ou l'élargissement de son assiette.

Mais, étant donné les circonstances et la carence du pouvoir, les états sortirent de la déférence et de la discrétion qui les caractérisaient depuis leur origine.
De 1355 à 1358, il siégèrent quasiment en permanence, ce qui n'était jamais vu, et ne se reverra plus dans notre histoire. C'est dire l'ampleur des problèmes à régler.
Lors de leur ouverture, en novembre 1355, le roi demande des subsides pour continuer la guerre. Par la voix de son chancelier, il "requiert aide".
L'"orateur des bonnes villes", Etienne Marcel, négocie avec le chancelier.

Finalement, les Etats accordent au roi l'aide demandée, mais en imposant plusieurs conditions à leur soutien:
- les Etats se réservent le droit d'organiser la perception de l'aide dans les pays (c'est à dire les provinces) par leurs députés,
- ils entendent également contrôler les recettes. Autrement dit, l'argent sera directement versé aux troupes, sans passer par les agents royaux,
- ils réclament également la convocation par le roi des Etats Généraux en mars puis en novembre 1356,
- ils demandent au roi d'admettre qu'aucune levée de fonds ne pourra se faire sans leur consentement,
- le roi ne pourra pas non plus lever "l'arrière-ban", c'est à dire tous les hommes à l'armée, sans leur consentement,
- les Etats choisiront eux-mêmes les "Maîtres des monnaies",
- enfin, le droit de coalition est reconnu à tous contre les officiers royaux.

C'est un véritable droit de rébellion, qui voulait aboutir à un contrôle de fait du pouvoir royal.

Réunis de nouveau en octobre 1356, les Etats Généraux accentuent encore leurs prétentions.
La captivité du roi Jean le Bon et la carence de fait du pouvoir royal y contribuent largement. La "Commission des élus" établit une nouvelle liste des griefs contre le roi.
Elle dresse une liste "des mauvais conseillers du roi", et émet la prétention que le Conseil du roi soit désormais choisi parmi les Etats.
En février 1357, ils demandèrent la création d'une commission de contrôle des services publics.

Le dauphin Charles, qui avait succédé par interim au roi Jean, signa la Grande ordonnance de mars 1357, qui sembla donner raison à Etienne Marcel.
En réalité, il n'avait accepté que les doléances qui lui semblaient utiles d'un point de vue judiciaire ou administratif.

 

 

Ordonnance du roi Charles V

Ordonnance de Charles V

Il ne cède pas sur l'essentiel, c'est à dire par exemple sur le choix de ses conseillers. Il accepte également le principe, bon selon lui, selon lequel les impôts soient votés et perçus par les représentants de ceux qui les paient. Il refuse par contre de prendre les conseillers parmi les Etats, ce qui lui laisse la possibilité de gouverner.

La confusion qui s'aggravait dans le pays, pillé par les Anglais et les Navarrais et par des bandes de déserteurs, les Grandes compagnies, l'afflux de réfugiés dans la
capitale l'influencèrent dans ses prises de décisions.

Mais les Etats tombaient mal. Ils ne furent pas plus heureux que le roi, qui avait tant de mal à percevoir l'impôt. Une partie de la France était en rébellion.

La Normandie, l'Artois et la Picardie n'avaient pas voulu députer aux Etats généraux, et refusèrent d'acquitter les taxes.

Les Etats, devant le refus des contribuables, remplacèrent les taxes sur le sel et sur les ventes par un prélèvement sur le revenu, qui fut accueilli de la même manière.
Alors que l'ennemi ravageait notre territoire, l'impôt ne rentrait pas, et l'armée ne pouvait pas être levée. Michelet dira plus tard: "La résistance aux impôts votés par les
Etats livrait le royaume aux Anglais".

Ce sera effectivement le cas à de nombreuses reprises dans notre histoire, quelque soit l'ennemi.

 

La révolte d'Etienne Marcel

L'agitation continue. les troubles se multiplient, singulièrement à Paris. Cette situation est paradoxale, car la ville s'est considérablement enrichie durant les dernières décennies.

Autant la noblesse a payé l'impôt du sang, autant la bourgeoisie commerçante a prospéré et profité de sa nouvelle richesse pour racheter les domaines seigneuriaux, pour beaucoup orphelins de leurs anciens propriétaires, morts au combat ou aux croisades.

C'est alors que, escomptant accélérer son accession au pouvoir, Etienne Marcel se compromet avec les Anglais, bien décidé à renverser avec l'aide de notre ennemi le pouvoir royal vacillant.

Le dauphin Charles révéla alors à cette occasion son sens politique et dévoila l'étoffe d'un futur grand roi de France.
Il exploita cette situation, se posant en défenseur du royaume.

Il quitta Paris, et réunit en province les Etats qui le soutenaient.

Rentrant à Paris, il prend appui sur une opinion publique populaire qui lui était acquise et qui se souleva à son approche.

Le dauphin est bien décidé à reconquérir le terrain perdu et les Etats, dans leur session de novembre 1357, font défection. Sentant l'hostilité croissante de la noblesse et de la province, Etienne Marcel change de politique. Il a compris que la France ne marchera pas pour une révolution, fût-elle pacifique.

Il décide donc de soulever Paris.

Pour y parvenir, il favorise l'évasion de Charles de Navarre, ennemi juré du dauphin, et allié aux Anglais.

 

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Charles le Mauvais



Charles de Navarre vient s'établir à Paris, où il prononce un fameux discours démagogique au Pré aux clercs.

Entre les deux Charles qui s'afrrontent, Etienne Marcel joue les conciliateurs. Puis il tient lui-même des réunions et distribue à ses partisans des chaperons rouge et bleu
(couleurs de la Ville de Paris), comme signe de reconnaissance. Bientôt, de sanglantes émeutes éclatent à son instigation.
Voyant la résistance du dauphin, il décide d'en finir d'une manière radicale, en faisant assassiner sous ses yeux deux de ses conseillers, les maréchaux de Champagne et de Normandie et qu'il coiffe de son chaperon aux couleurs de la ville "en signe de protection". Nous sommes le 22 février 1358.

Marcel épargne l'héritier du trône de France car il le sous-estime et pense pouvoir le contrôler aisément : c'est une lourde erreur.

Ayant obtenu de rentrer au Conseil par cette intimidation, il se croit alors maître du jeu. En réalité, il est de plus en plus l'esclave de la révolution qu'il a enclenchée, et de la compromission avec Charles de Navarre, dont l'alliance lui est indispensable pour parvenir à ses fins.

Les événements se précipitent. Le dauphin, qu'il a fait proclamer régent le 14 mars, s'enfuit et convoque les Etats de langue d'oïl à Compiègne. Il obtint leur soutien, en échange de la promesse de réformes, qu'il mènera à bien tout au long de son règne.

Les Parisiens sont isolés. Les Jacques (qui donneront par extension le terme "jacqueries" pour nommer toutes les révoltes paysannes), appelés à la rescousse par Etienne Marcel, sont massacrés par son allié le Navarrais.

Il demande alors l'aide des communes flamandes, traditionnelles ennemies de la France et alliées de l'Angleterre.

Celles-ci, effrayées par la gangrène parisienne, refusent.
Furieux de la dictature d'Etienne Marcel et de Charles de Navarre, les bourgeois de Paris se révoltent contre ceux qui prétendaient défendre leurs intérêts.

Le blocus effectué par le dauphin autour de Paris exaspère bientôt toute la population.

Après avoir nommé Charles le Mauvais (surnom donné à Charles de Navarre) capitaine général de Paris le 15 juin 1358, le prévôt est obligé d'expulser de Paris les Anglo-
Navarrais.
Il tente de les réintroduire par la porte St Antoine, lorsqu'il est interpellé par une troupe de contre-révolutionnaires dirigée par l'échevin Jean Maillard, autre grand bourgeois.

 

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L'assassinat d'Etienne Marcel



N'ayant pu expliquer sa présence à cette heure et si près des ennemis, il est abattu sur le champ, dans la nuit du 31 juillet au 1er août 1358.
Son idée était d'installer Charles le Mauvais sur le trône. Il finira comme un traître.

Epilogue

Devenu roi, le dauphin que l'on connaîtra sous le nom de Charles V Le Sage, a fait preuve d'une étonnante maturité politique pour une jeune homme de son âge.
Il n'a en effet que vingt ans en 1358.

Un nouveau prévôt est nommé: bourgeois modéré, Jean Maillard, puisqu'il s'agit de lui, fera relever la tête aux bourgeois dont certains s'étaient compromis avec Etienne Marcel et les Anglo-Navarrais.

Ovationné, garant de la paix civile retrouvée, le roi Charles V proclame l'amnistie générale dans un enthousiasme indescriptible, en rentrant dans sa bonne ville de Paris.

Etienne Marcel est mort et la révolte avec lui.

Le roi, pour sa part, a affermi son pouvoir et assuré la prospérité de la France durant tout son règne.
Il saura s'entourer de savants, et cultive lui-même les arts et les encourage, conscient des devoirs que lui impose sa fonction.

 

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Charles V (Musée du Louvre)

 

Son train de vie n'est pas dispendieux, toutes ses réalisations (Louvre, Vincennes, Bastille, hôtel St Pol) sont conçues dans des buts uniquement de commodité, de
modernisation ou de défense militaire.

Son activité incessante et son extraordinaire intelligence ont étonné tous les historiens.

Chétif, malingre, et paralysé avant ses quarante ans, il n'en fut pas moins un de nos plus grands souverains, qui saura préparer la France à affronter les épreuves à venir.
Le règne de son successeur, Charles VI le fou, faillit bien sonner le glas de la dynastie capétienne.

Quant à Etienne Marcel, les chaperons rouge et bleu dont ses partisans étaient coiffés préfigurent une autre révolution, bien plus connue celle-là, qui éclata en 1789.

On y arborait alors la cocarde tricolore, bleu et rouge couleurs de la Ville de Paris et le blanc de la monarchie française.

Mais c'est une autre histoire...


 

 

 

 

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Le saviez-vous ?

Le paiement de la rançon pour la libération du roi Jean
le Bon fut l'occasion de la création de notre monnaie nationale, jusqu'en 2002. 
On décida d'appeler cette nouvelle monnaie: le franc !
En effet, le roi étant libéré, il était dit affranchi, ou franc.

 

premier francjeanlebon

Premier franc du roi Jean le Bon



Par analogie, la notion d'affranchissement s'appliquera également à l'exemption de paiement de l'impôt. 

Ainsi, la rue des Francs-Bourgeois, par exemple, rappelle que dans ce quartier, des Parisiens trop pauvres pour payer l'impôt bénéficiaient d'une exemption royale.

Le saviez-vous ?

Les jacqueries sont des révoltes paysannes. Ceux-ci étaient alors appelés des jacques. 

Le plus souvent réduits à des conditions extrêmement difficiles par la longue Guerre de Cent ans, avec sa succession d'invasions et de pillages, se sont soulevés essentiellement contre les nobles. 

Ils leur reprochaient de ne plus savoir défendre le royaume et, loin de les protéger comme ils le devraient, de vivre à leurs dépens, de piller et de rançonner hors de leurs terres et d'être plus exigeants que jamais dans leurs terres.

On les voit combattre sous des étendards à fleurs de lys, ce qui montre leur attachement au roi. 

Etienne Marcel tenta de les utiliser contre le pouvoir royal, mais écrasés à Meaux qu'ils tentaient de prendre, les jacques se feront finalement exterminer par Charles le Mauvais.

On dénombra alors plus de 15 000 victimes et leur chef, Guillaume Karle, fut décapité.



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