Histoire des monuments, des lieux et des quartiers
Cachots et prisons de Paris (1)

HISTOIRE DES PRISONS ET AUTRES CACHOTS DE PARIS (1ère partie)

de l'Ancien régime à la Révolution


(source: Jacques Hillairet)



1/ Les justices seigneuriales de Paris

Paris a connu, deouis le début de la féodalité jusque vers la fin du XVIIè siècle (1674) un grand nombre de carrefours encombrés d'une potence et de rues pourvues d'une prison. Cela était dû au fait que la capitale comptait alors un nombre important de seigneuries diverses (royale, civiles et ecclésiastiques) et, par conséquent, d'autorités ayant, sur leur domaine, le droit de juger et de châtier. Ce droit, qui faisait partie de leurs privilèges, les conduisait à entretenir tout un personnel justicier dirigé par leur représentant, appelé prévôt ou bailli (pour le roi, c'était le prévôt de Paris), à avoir un tribunal avec procureurs, greffiers, huissiers, sergents, etc... et à posséder tout un ensemble de moyens de répression.

Ce droit de justice comportait plusieurs degrés suivant que le seigneur était "bas", "moyen" ou "haut-justicier".

Le seigneur bas-justicier jugeait les personnes coupables de petits délits: fraudes, rixes, larcins, injures, dettes légères, dégâts causés par les animaux, etc..

Le seigneur moyen-justicier n'apparut qu'au XIVè siècle. Il connaissait des délits de la même sorte que ceux qui précèdent, mais de nature plus grave, et aussi les tromperies sur les poids et mesures.

Le seigneur haut-justicier jugeait, en plus des personnes coupables des délits précédents, celles accusées de crimes, meurtres, viols, pillages, incendies volontaires, vols de grand chemin, trahisons, rapts, faux-monnayages, etc... Ayant le droit de glaive, jus gladii, il pouvait les condamner à mort, et pendant longtemps, ces condamnations furent sans appel. Ses moyens de répression étaient variés: mutilation, flagellation, carcan, marque au fer rouge, mort par la hart (corde servant à étrangler les criminels), le bûcher, la roue, l'écartèlement, l'enfouissement... D'où la nécesssité pour lui d'avoir une prison, un bourreau, une chambre pour la question, un échafaud, une potence, un lieu d'exposition...

 

1 justice seigneuriale

                        Juridiction seigneuriale


C'est ainsi, par exemple, que le prévôt de Paris disposait, en plus des cachots des deux Châtelets et de la Conciergerie, du pilori des Halles, de la cuve à bouillir du Marché aux pourceaux (situé entre les rues St Honoré et St Roch actuelles), de nombreux échafauds et potences dans la capitale et des seize piliers du gibet de Montfaucon.

Saint Louis amoindrit les justices seigneuriales en augmentant le nombre des "cas royaux", soit la liste des crimes qui, à l'avenir, seraient strictement réservés à sa seule juridiction, tels ceux relatifs à la dignité du roi, à la religion, à la sûreté de l'Etat, au faux-monnayage, aux parricides, aux rapts et aux assassinats commis sur les grands chemins. Il proclama aussi le droit d'appel au roi des jugements rendus par ses vassaux.

Tous ces amoindrissements soulevèrent des protestattions chez les seigneurs car les punitions qu'ils infligeaient étaient souvent pour eux une source de revenus du fait des amendes et des confiscations qui s'ensuivaient.

Les petits et moyens justiciers parisiens disparurent assez vite, étant absorbés par les grands. Il ne resta donc plus à Paris que des seigneurs hauts-justiciers. Ceux-ci furent toujours fort jaloux de leurs droits, qu'ils ne craignaient pas de défendre, même lorsque ceux-ci étaient violés par la juridiction du roi.

C'est ainsi que le prévôt de Paris, Pierre Jumel, ayant en 1304, fait pendre le jeune clerc Pierre Le Barbier, coupable d'un assassinat, l'Official protesta avec véhémence, arguant que ce châtiment aurait dû lui revenir étant donnée la qualité du meurtrier. D'où une procession comportant le chapitre de Notre-Dame, tous les curés de Paris, les archidiacres et le recteur de l'Université, qui s'en alla solennellement, avec croix et bannières, jusqu'à la demeure du prévôt à qui réparation fut demandée.
Philippe le Bel donna tort à Pierre Jumel, le dépouilla de sa charge, l'obligeant à demander pardon à l'Université, à dépendre lui-même le pendu et à baiser ses lèvres, puis à remettre son corps au recteur qui l'inhuma avec pompe. De plus, le pape l'excommunia.

 

2 Cartoucheroue

        Le bandit Cartouche roué en place de Grève

On trouvait dans le Paris du XIVè siècle dans l'ombre du Parlement qui jugeait en dernier ressort et enregistrait les lois, édits et ordonnances, un nombre considérable de juridictions de tous genres:

- celle du Châtelet, "le propre siège des rois, le premier tribunal de la ville de Paris, commune patrie de la France", juridiction ordinaire de la ville, de la prévôté et de la vicomté de Paris. Le prévôt de Paris y rendait la justice au nom du roi; aussi siégeait-il sous un dais fleurdelisé,
- celle de l'Hôtel de Ville où le prévôt des marchands jugeait tous les différends relatifs aux marchandises arrivées par voie d'eau: sa juridiction s'étendait sur la Seine et sur 50 rues de Paris; son sège était à l'Hôtel de Ville;

mais aussi des jurictions financières:

- la Chambre des Comptes, chargée de vérifier les comptes des fonctionnaires; son siège était au Palais,
- la Cour des Aides, qui jugeait les questions relatives aux aides, aux tailles et autres impôts en tous genre, son siège était au Palais,
- la Cour des Monnaies, dont la compétence s'étendait à tout ce qui concernant la fabrication et la circulation de la monnaie, son siège était à l'Hôtel des Monnaies
- la Prévôté générale des Monnaies chargée d'exécuter les arrêts de la Cour précédente,
- la Chambre du Domaine, chargée de défendre les intérêts du domaine de la Couronne; elle tenait ses audiences au Palais,
- le Tribunal de l'Election de Paris, compétent pour la répartition des impôts; il siégeait au Palais,
- le Grenier à Sel, qui jugeait les contraventions relatives à l'impôt sur le sel; son siège était rue des Orfèvres,

des juridictions militaires:

- la Connétablie et Maréchaussée de France qui connaissait les crimes et délits commis par les militaires et tenait ses audiences à la Table de Marbre, au Palais,
- le Tribunal des maréchaux de France, réglant les points d'honneur qui s'élevaient entre gentilshommes ou militaires; son siège était au domicile du doyen des maréchaux,
- le Bailliage de l'Artillerie ou de l'Arsenal, compétent pour toutes les affaires concernant, d'une part, les poudres et canons, d'autre part, les crimes commis dans l'enclos de l'Arsenal; son siège était à l'Arsenal,

des juridictions commerciales:

- de l'Amirauté de France, chargée des affaires cocernant le commerce maritime; ses audiences avaient lieu au Palais,
- des Juges-Consuls connaissant toutes les causes et procès concernant le commerce; ses audiences avaient lieu rue du Renard dans un bâtiment situé derrière l'église St Merri,
- de la Chambre des Bâtiments, réglant les différends entre les entrepreneurs de maçonnerie et les ouvriers; elle siégeait au Palais,
- de la Chambre de la Marée s'occupant des affaires concernant les poissons d'eau de mer et d'eau douce; elle siégeait au Palais,

et enfin, des juridictions diverses:

- de la Grande Maîtrise des Eaux et Forêts du domaine royal; elle siégeait à la Table de Marbre, au Palais,
- du Bailliage du Palais, qui connaissait tout ce qui regardait le civil, le criminel et la police dans les cours et salles du Palais de Justice et dans 8 rues de la partie occidentale de la Cité; il siégeait naturellement au Palais,
- des Bailliages et Capitaineries royales des varennes du Louvre et des Tuileries, chargées de réprimer le braconnage sur les terres du royaume; leurs audiences se tenaient au Louvre et aux Tuileries,
- du Tribunal de l'Université jugeant toutes les questions relatives aux fondations scolaires et aux contestations qui s'élevaient entre les écrivains, les imprimeurs, les libraires... Son siège était au collège de Clermont (Louis le Grand),
- de la Basoche jugeant les différends entre les clercs des procureurs; son siège était au Palais,
- de la Prévôté de l'Hôtel du roi, dont la juridiction s'étendait à tous les lieux où se trouvait la Cour, ainsi qu'aux Maisons royales et à leurs dépendances; son siège était au Louvre,
- du Grand Conseil, jugeant les procès concernant les évêchés, les conflits entre parlements et présidiaux du même ressort, les appels de la prévôté ci-dessus; il siégeait à l'Hôtel d'Aligre;

S'y ajoutaient 24 juridictions ecclésiastiques, dont l'Evêque de Paris, l'Officialité, etc...

François 1er, par son ordonnance de février 1539, et Louis XIII, par celle de 1643, tentèrent de réunir à la justice royale toutes les hautes justices particulières, dites aussi subalternes. Ils échouèrent l'un et l'autre, par suite de la vive opposition des seigneurs haut-justiciers.

Par son édit de février 1674, Louis XIV, ayant pris en compte "les incommodités que le grand nombre de justices subalternes causait aux Parisiens", les supprima. Il les réunit toutes à sa justice du Grand-Châtelet, laquelle dut être alors sérieusement renforcée. Les hauts-justiciers s'estimant lésés, le roi leur accorda des dédommagements pécuniaires.

Par la suite, de 1678 à 1725, certaines autorités retrouvèrent leur droit de haute justice, mais ne purent l'exercer qu'à l'intérieur de leur enclos.

A la veille de la Révolution, il ne subsistait plus, outre la justice royale, que neuf juridictions seigneuriales dont celles de l'Archevêché et du chapitre de Notre-Dame. Et l'on put faire appel de leur jugement au Parlement.