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Auteur : Philippe Année : 1975

 

LE QUARTIER CHINOIS DE PARIS 13è

Petite histoire

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Première étape: une histoire d'industries

Créé par décret impérial en 1860, le 13ème arrondissement fut l'un des huit nouveaux arrondissements de la capitale.
Englobant une partie des anciens villages d'Ivry et de Gentilly, il absorba totalement les bourgs de St Marcel et d'Austerlitz.

L'activité était à l'époque essentiellement agricole, même si on note l'apparition, dans la seconde moitié du XIXè siècle, d'industries variées.
L'espace libre et la création de deux gares, le réseau d'Orléans et la gare d'Austerlitz furent sans conteste à l'origine de son développement industriel.

Mais c'était aussi l'arrondissement le plus pauvre de Paris, en 1900. C'était le lieu noir de la misère parisienne, refuge des mendiants et des filous, des ouvriers sans qualification, qui pour la plupart vivaient dans des passages sordides ou des baraques de fortune.
Peuplé de 56 800 habitants en 1861, il en comptait 163 000 en 1975.

La situation s'améliora tout au long du XXè siècle, et les taudis disparurent peu à peu, pour faire place à des HBM (habitations bon marché), équipés du confort moderne de l'époque. Malgré ces progrès, il subsista jusque dans les années 1970 un certain nombre d'immeubles délabrés et de petits pavillons anciens, dans lesquels habitait la population ouvrière, à proximité immédiate des usines dans lesquelles elle travaillait (Chocolat Meunier-Lombart, Panhard, Delahaye , Say, etc..). 

C'est dans la première moitié du XXè siècle qu'un premier contingent de travailleurs asiatiques vint s'installer dans le quartier situé entre la place et la porte d'Italie; Essentiellement employés dans les usines automobiles (Panhard-Levassor et Delahaye), ils créèrent la première colonie chinoise importante de la capitale (environ 1 000 personnes en 1930), leurs familles ouvrant les premiers restaurants chinois de Paris.


Deuxième étape: la nature a horreur du vide

La faillite de l'entreprise Panhard-Levassor en particulier et l'expatriation en banlieue ou en province d'autres industries (Chocolats Meunier, verreries, sucrerie Say, etc...) libéra d'immenses emprises, disponibles à la construction.

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Les usines Panhard


L'opération Italie 13 peut être lancée. Le Conseil de Paris l'approuve le 13 janvier 1966 et la confie au secteur privé. Elle doit couvrir un secteur de 87 hectares entre la place d'Italie, l'avenue de Choisy, les rues de Tolbiac et Nationale, les boulevards des Maréchaux et une partie des quartiers de Maison-Blanche et de la Butte-aux-Cailles de part et d'autre de l'avenue d'Italie. Il s'agit de construire 16 400 logements et 150 000 mètres carrés de surfaces commerciales et de bureaux, ainsi que des écoles et de petits jardins.

L'architecte Le Corbusier, adepte du béton et des tours à l'américaine, obtint donc de la Ville de Paris le feu vert pour mettre en oeuvre son projet: un quartier futuriste où chacun vivrait en harmonie avec ses voisins, dans un confort inconnu de beaucoup des Parisiens des années 1970.

Il fallait, dans son esprit, faire table rase du passé faubourien du 13è arrondissement. C'est ce qui sera massivement réalisé entre la place d'Italie et la place Nationale et la porte d'Italie.En huit ans, de 1967 à 1975, le béton emporte sans retenue les maisons modestes, les cours de ferme et les petits commerces, les artisans obsolètes et les industries sur le déclin.

Paris vu par Le Corbusier 1925

Paris vu par Le Corbusier en 1925

 

Troisième étape: le malheur des uns fait le bonheur des autres

Bien plus que des bâtiments anciens, voire misérables, c'est tout un environnement, un cadre de vie, que Le Corbusier a détruit à jamais.

En effet, au fil du temps, une population ouvrière s'était solidement implantée dans le quartier, avec sa convivialité, ses commerces, ses bistrots, ses habitudes. Il faisait bon vivre pour beaucoup de ces laborieux, dans ce 13è arrondissement, héritier de traditions fermement ancrées depuis plus de 100 ans.

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L'avenue de Choisy en 1960

L'opération "Italie 13" a certes eu un effet positif: le remplacement d'un tissu urbain souvent en-dessous des normes de confort moderne par des immeubles à la pointe de la modernité, équipés de l'eau courante, de parkings, du chauffage collectif et de supermarchés.

 

 

Mais, contrairement à la croyance trop souvent répandue, l'homme n'est pas qu'un consommateur. Il a aussi besoin d'un environnement familier, de coutumes auxquelles se raccrocher et de lien social. Tout ceci n'avait pas été imaginé une seconde par Le Corbusier qui, d'obédience marxiste, n'avait qu'une vision matérialiste des choses.

Paris olympiades wikimedia
Le quartier des Olympiades

Et ce qui devait arriver arriva. Ceux pour qui ces grands ensembles avaient été construits refusèrent d'y habiter. Beaucoup d'ouvriers, qui avaient vu, le coeur serré, les bulldozers raser leur passé préférèrent quitter Paris pour des banlieues proches, mais loin des tours et des dalles auxquelles ils avaient du mal à s'habituer.


Quatrième étape: une étrange revanche de l'histoire

Ainsi, ces immeubles conçus selon les dernières normes, emblèmes du modernisme parisien, devaient attendre de longs mois avnt d'accueillir leurs premiers occupants. Trop chers pour les français moyens ou modestes, trop modernes pour toute une frange aisée qui leur préférait les quartiers centraux, il fallut brader les appartements qui ne trouvaient toujours pas preneurs !

Et puis, en 1975 ce fut la défaite des Américains au Viet-Nam. Ce fut aussi l'année des boat-people. Ces vrais réfugiés qui quittaient leur Viet-Nam, Cambodge ou Laos natal, en laissant derrière eux leur vie, leurs maisons, leurs amis, pour fuir des régimes communistes qui avaient fait de leur vie un enfer, au sens premier du terme. Ceux qui parvenaient à échapper aux pirates, à la noyade ou aux requins se dirigèrent tout naturellement vers la France, l'ancienne puissance colonisatrice, dont la plupart partageaient la langue.

Débarqués à Paris, ils eurent l'immense surprise d'y trouver un quartier ultra-moderne, quasiment inhabité, dont les prix défiaient toute concurrence, et qui abritait déjà l'une des premières colonies asiatiques de Paris.

Le terme "quartier chinois" est impropre, car c'est bien d'indochinois qu'il s'agit, au moins dans les vingt années qui suivront.


defile du nouvel an chinois dans le 13e a paris

Itinéraire du défilé du Nouvel an chinois dans le 13è arrdt


Ils ne mirent pas longtemps à réfléchir, et achetèrent une bonne partie de ces appartements, aubaine inespérée pour ces malheureux qui avaient tout perdu.
Le système traditionnel de prêt pratiqué en Extrême-orient (la tontine) favorisait l'accession à la propriété.

Et c'est ainsi que de nouveaux occupants remplacèrent les anciens, et créèrent la plus grande communauté indochinoise de Paris. Depuis, de nombreux chinois les ont rejoints, dans le quartier mais aussi à Belleville et dans le nord-est parisien.


Pour finir, les réflexions d'un habitant du quartier, qui résument parfaitement l'état d'esprit qui anime cette dynamique communauté


"Le vélib, c'est sympa.

Mais les asiatiques, Chinois ou Vietnamiens, le vélo ils connaissent
Ils ont déjà donné en masse.
Et ils préfèrent la voiture, préférentiellement de marque allemande, avec des chromes et une petite lanterne accrochée au rétroviseur.
Et un radar de recul.
Et une plaque avec les bons numéros conseillés par le Feng Shui.

Avec la clim et le dernier lecteur numérique en quadriphonie couplé au GPS pano.
Et ils vont mettre assez longtemps pour être persuadés que le vélo c'est un truc d'avenir !

On y croise donc tout à la fois des anciens habitants du quartier, comme mes beaux parents qui habitent là depuis près de soixante ans, des touristes qui déambulent, des livreurs surchargés, des anciens qui devisent sur les bancs, des étudiants venus de Jussieu, toute proche, des bonzes tout propres et généralement bien replets comme pouvaient l'être nos curés de jadis, des couples mixtes de plus en plus nombreux et avec des enfants bien tenus aux prénoms bien français et qui seront premiers en classe, en mathématique, français et en gymnastique et qui feront, probablement, plus tard, une grande école.

La génération née en France comporte déjà de nombreux médecins, pharmaciens, avocats, juges, experts comptables, administrateurs civils, professeurs d'université.

La communauté asiatique, et particulièrement chinoise, bien que conservant ses traditions, sait parfaitement s'intégrer et réussir est un objectif simple.

Elle fait donc tout ce qu'il faut pour cela et met les chances de son coté."

 

 

 

 

 

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