DANS L'ANTRE DU CUISINIER

Toute cuisine exige une cheminée. mais toutes les cheminées ne sont pas équipées de chenêts, d'une crémaillère, d'un gril et d'une broche, comme chez les bourgeois et la noblesse. Ni rôt, ni grillade ni gaufres pour les pauvres et les paysans. La majorité des dîneurs se régalent de plats bouillis servis dans des pots de terre, posés sur un simple trépied. Mais nul ne mange mieux que les habitants des châteaux.


1/ La brigade


Dans un château princier, une brigade assure la préparation des repas sous l'autorité d'un maître d'hôtel, gentilhomme de haut rang chargé de la gestion de l'approvisionnement et de la police intérieure des cuisines. Pas moins de soixante-dix personnes, tous des hommes, y travaillent. Quelques femmes leur sont adjointes., pour trier et laver les plantes et les herbes.

En cuisine ràgne le maître-queux, dont les responsabilités sont élevées... tout autant que ses émoluments. Il établit le planning des approvisionnements, procède aux achats auprès des marchands, compose les menus.Du haut de sa chaire, tel un maître à l'université, il agite sa louche pour indiquer à chacun son travail et gourmande les enfants de cuisine ou happe-lopins (qui donnera le mot "galopin").

Les noms des cuisiniers évoquent leur métier. Celui de Taillevent, cuisinier de Charles V, puis de Charles VI, et celui de Laillot, queux de Jean sans Terre, en témoignent. Enfants, ils devaient exceller à hacher et tailler ou à touiller la sauce à l'ail. Plusieurs de ces sobriquets sont parvenus jusqu'à nous: Poire-molle, Anguillette, Le Goulu...
Rabelais en propose quelques-uns qui devaient être couramment attribués: Rince-pot, Gratte-pot, Potageoir...

cuisinier

2/ L'équipement


Pour effectuer toute la gamme des cuissons, la ménagère possède peu d'ustensiles: des pots de terre, un petit chaudron, une poêle, un poêlon...

Le maître-queux, lui, dispose d'une palette complète d'instruments en terre cuite, fer, cuivre, bronze, pierre, bois et même tissu. Les chaudières de bronze, les chaudrons de fer aux formes variées, à fond plat ou tripodes, permettent de concocter les viandes, tandis que les pots de terre conviennent mieux aux bouillons et aux laitages.

Le cuisinier surveille toute une série de pots de terre posés soit sur la cendre chaude, soit contre le contrecoeur brûlant de la cheminée, soit encore surélevés sur un trépied au-dessus de la braise, selon le degré de température recherché et le type de mets préparé.

Il a aussi à portée de la main des poêles et des poêlons de fer ou de cuivre étamé, pour faire revenir viandes et poissons avec des oignons, mettre à cuire les oeufs à la coque, les crêpes et les omelettes, ou encore la bouillie des enfants du château.

Pour travailler ses plats, le cuisinier utilise des cuillers en bois, à un ou deux cuillerons, et des crocs pour extraire la viande des bouillons sans se brûler, des couteaux à lame tranchante, pour "bariciter" les viandes et d'autres à bout rond pour  racler les peaux de poisson, un maillet de bois pour attendrir une viande consommée très fraîche, des louches et des écumoires.

Dans les mortiers de pierre, de bois ou de terre cuite, les aides de cuisine, assis à califourchon sur des bancs, font les porées (les purées) de fèverolles ou de lentilles. Ils réduisent dedans le pain grillé en miettes avant de les mettre à tremper dans du bouillon et des épices, écrasent le raisin noir destiné à la sauce d'accompagnement des jeunes chapons, pilent foies et poumons bien cuits pour préparer la sauce du civet de lièvre, mélangent la crème de courge avec un peu de verjus...
Des lèchefrites servent à récupérer le jus de cuisson des viandes rôties. Grils et gaufriers sont indispensables, de même que les trappes, plats à tourte pour gâteaux et pâtés.


3/ L'hygiène


La cuisine est le plus souvent possible installée de manière à pouvoir disposer d'eau à portée de la main, avec un puits attenant et un évier de pierre. Des seaux de bois pleins d'eau s'alignent dans un coin, ainsi que les bassines pour laver les plats.

Les porteurs d'eau ont fort à faire pour approvisionner la cuisine en eau propre destinée à rincer les salaisons, les boyaux, les légumes et les céréales.

Tous les ustensiles son soigneusement récurés. la plupart des cuisines, dans les milieux aisés, sont carrelées ou pavées. C'est pour mieux les laver.

Mais les débris alimentaires jonchent un sol balayé seulement en fin de journée, et les images foisonnent, qui montrent des chiens et des chats léchant les plats posés par terre...et que les marmitons se contentent ensuite de frotter au torchon.


4/ Les mots de la cuisine médiévale


Si les gestes ou les objets sont encore les mêmes, bien des mots de la cuisine médiévale ont changé de sens. Ainsi, un potage est tout ce qui cuit dans un pot, même la viande. La soupe est un bouillon riche en vin dans lequel on trempe des mouillettes de pain. La porée est une purée. Le civet n'est pas que de lièvre: on en fait aussi avec des oeufs.

Parmi les plats oubliés, les douceurs portent des noms évocateurs: La papa est une bouillie d'enfant. L'oublie, croquée sèche ou dégustée fourrée, une hostie non consacrée. La pipefarce est un beignet, de même que le mistembec, ou "mise en bouche", arrosé de sirop de sucre.

Les noms des plats ne doivent pas tous être pris au pied de la lettre: ainsi, l'omelette pour "rufians et ribaudes", aux oranges, hors de prix, est destinée aux grands seigneurs et non au commun des mortels, qui n'ont pas les moyens de telles agapes.

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