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Ça s'est passé à Paris un 17 juillet

Écrit le jeudi 13 juillet 2017 06:50

jeudi, 13 juillet 2017 06:50

Ça s'est passé à Paris un 17 juillet

Le 17 juillet 1793

Charlotte Corday guillotinée pour avoir libéré la France d'un monstre

 

Observant le peu d’empressement de ses compatriotes à tirer vengeance des oppresseurs de son pays, Charlotte Corday, dont l’enfance et l’éducation n’annonçaient pas l’acte qu’elle devait commettre avec une si farouche résolution, quitte sa Normandie natale pour mettre quelques jours plus tard un terme aux agissements du « monstre » Marat.

Marie-Anne-Charlotte Corday d’Armont naquit le 27 juillet 1768, aux Champeaux, ferme situé à Saint-Saturnin, dans l’Orne. Quelques mois après sa naissance, ses parents allaient s’installer au manoir de Corday, maison paysanne également, située sur le territoire de Menil-Imbert. La maison des Champeaux n’avait qu’un rez-de-chaussée ; le manoir de Corday possédait un premier étage, avec deux grandes chambres, dont l’une était occupée par la mère de Charlotte, dont la seconde était un oratoire, et la troisième, une pièce éclairée d’une seule fenêtre, ouvrant sur le panorama de la vallée d’Auge. C’est là que vivait Charlotte.

Fille d’un père gentilhomme, les préjugés ordinaires à sa classe ne firent que glisser sur sa précoce intelligence, et, lorsque bien jeune encore elle sortit du couvent pour rentrer dans le sein de sa famille, son âme, destinée à s’élever à la plus grande hauteur morale, renfermait déjà le germe des plus vertueuses pensées et des plus généreuses résolutions. Les parents de Charlotte étaient d’extraction noble, mais peu fortunés. Le père devait s’imposer les plus grands sacrifices pour élever ses enfants : deux fils et trois filles. On passait sa vie, au manoir de Corday, à s’efforcer d’être économes.

Tout près du manoir de Corday, se trouvaient les aînés de la famille, les Corday-Glatigny, qui habitaient un château ; on se voyait continuellement ; et Charlotte avait sa chambre à Glatigny. Mais bientôt, M. de Corday ne put plus demeurer au manoir et dut même se séparer de ses enfants, dont l’instruction lui causait les plus vives inquiétudes. Charlotte fut envoyée chez un oncle, à Vicques, où elle vécut plusieurs années. C’est là qu’elle apprit à lire ; et on aime à se la représenter, s’enthousiasmant pour les oeuvres de son illustre ancêtre, Pierre Corneille dont elle était l’arrière-arrière-arrière-petite-fille ; car elle lisait beaucoup.

Charlotte avait 13 ans quand elle fut rappelée en 1782 auprès de sa mère, qui se mourait après avoir donné le jour à un sixième enfant. La famille habitait alors à Caen, dans une petite maison de la butte Saint-Gilles. M. de Corday perdit encore sa fille aînée ; et il fut trop heureux de faire entrer ses deux autres fillettes au couvent de la Trinité de l’abbaye des Dames.

Charlotte y fut une enfant travailleuse, gentille, aimable, mais indiquant déjà un caractère très ferme. Bien loin de la frivole légèreté qui dominait alors, l’éducation des personnes de son sexe et de son rang, Charlotte sut s’en donner une autre ; et, se dégageant de toutes ces lisières triviales, c’est à Plutarque qu’elle demandait des conseils ; Plutarque, peintre éloquent des plus grandes actions et des plus grands caractères de l’antiquité, Plutarque, dont les pages ont toujours donné naissance à d’illustres émulations, et qui faisait les délices de Montaigne et de Rousseau, devint l’instituteur de cette jeune fille.

Le goût d’une telle lecture eût suffi seul pour prouver de quelle riche étoffe était cette âme qui se cachait encore sous des traits enfantins et charmants. Elle lisait en même temps les publicistes et les historiens les plus distingués de l’Europe avec une application passionnée qui ne ressemblait nullement au futile amour-propre d’un vain savoir ; elle cherchait en eux la lutte de la raison, de la vertu et de la liberté contre l’imposture et la tyrannie.

Ces études si mâles et si austères surprennent bien davantage quand on songe que Charlotte Corday était par son cœur comme par son organisation toute de son sexe, et que son sein recelait tout ce que la nature peut mettre en une femme de piété filiale et de douces émotions. Un tel caractère ne devait pas exciter autour d’elle, dans sa famille, moins et de respect que de tendresse. Aussi, maîtresse de l’emploi de ses moments et de la direction de ses études, elle ressentit peu le joug paternel ; on la laissait aller et faire comme un enfant sublime voué à quelque prédestination mystérieuse et qu’un ange invisible conduisait.

En 1790, son père la rappela auprès de lui, au manoir de Corday. Elle y demeura, presque toujours confinée dans sa petite chambre, à moins qu’elle n’allât faire visite au château de Glatigny ; et elle lisait tout : journaux et petites brochures ; à moins qu’elle ne tricotât des vêtements pour les pauvres du pays.

Cela dura un an ; puis M. de Corday, toujours très gêné, dut abandonner le manoir, et se retirer chez ses parents à Argentan. Charlotte préféra demander asile, en juin 1791, à une vieille parente, Madame de Bretteville-Gouville, qui vivait à Caen, rue Saint-Jean. Cette Madame de Bretteville était une avare, malgré ses 40 000 livres de rentes, et craignait toujours d’être volée. Elle accueillit, d’abord, assez mal sa petite cousine ; mais Charlotte eut vite fait sa conquête. Elle avait alors 23 ans, était grande et belle, avec un teint éblouissant, qu’un rien faisait rougir ; son visage était doux, sa voix charmante. Madame de Bretteville l’avait logée au fond de sa maison, dans une chambre très simple, où il n’y avait même pas de parquet, rien qu’un carrelage de briques, et pas de plafond mais des solives noircies.

Comme Madame de Bretteville recevait beaucoup, elle donna de jolies robes à Charlotte, qui fut très courtisée. Un jeune homme de Caen, Franquelin, profondément épris de Charlotte, aurait reçu d’elle des lettres qu’il conserva toujours très précieusement ; et il prescrivit qu’on les mît dans son cercueil : il mourut peu de temps après l’exécution de Charlotte. C’est de la maison de la rue Saint-Jean, que Charlotte vit passer les Girondins, logés à l’Intendance, et avec lesquels elle s’était entretenue au sujet de l’état de Paris.

Elle savait la capitale au pouvoir d’un petit nombre d’hommes violents. Celui dont on parlait avec le plus d’exécration, c’était Marat. Elle crut qu’en le tuant, elle anéantirait sa faction et rendrait à la France la paix et le bonheur. L’acte de Charlotte Corday procéda d’une détermination toute personnelle ; mais, comme il avait son inspiration dans les idées du temps, il trouva une sorte de complicité morale dans ses contemporains, et la coïncidence des événements put, au premier abord, lui donner les apparences d’un complot.

Charlotte Corday exécuta son projet dans le plus grand secret, continuant d’aider Madame de Bretteville à recevoir ses relations. On assure qu’elle hésita quelque temps entre Robespierre et Marat, et que son choix n’était pas encore fait entre ces deux hommes, que séparaient d’ailleurs tant de différences, lorsqu’elle lut par hasard une feuille de l’Ami du peuple dans laquelle celui qui se prétendait tel, Marat, répétait son mot favori sur la nécessité de faire tomber encore deux cent mille têtes : elle crut n’avoir plus à balancer sur la préférence que méritait ce dernier, et se décida à partir pour Paris.

Rien ne transpira de son dessein, et l’héroïsme prodigieux qui l’avait inspiré se cacha sous une liberté d’esprit si complète, sous les apparences d’une quiétude si gracieuse, que son entourage la trouvait alors plus aimable que jamais. Elle se livrait même davantage à ces légers travaux de l’aiguille, attribution des femmes ordinaires, et auxquels elle n’affectait point d’être étrangère, bien qu’elle eût habituellement donné la préférence à des occupations plus relevées.

Remplie de soins et de bontés pour les personnes qui se trouvaient dans sa dépendance, elle voulut pourvoir au sort d’une femme qui la servait en la plaçant, avant son départ pour Paris, auprès d’une dame amie de sa famille. Ensuite, jugeant qu’elle n’aurait pas le temps de terminer une broderie qu’elle avait commencée pour la donner comme un souvenir à cette excellente domestique, elle porta son travail chez une ouvrière pour qu’il fût achevé, et le paya d’avance, avec expresse recommandation de porter la collerette lorsqu’elle serait terminée et de la remettre de sa part à la personne qu’elle désigna.

Ce ne fut qu’après l’événement qui devait la mener à être exécutée qu’on se rappela l’avoir vue un peu plus nerveuse que d’habitude. Le 6 juillet 1793, elle alla voir une de ses parents, Madame Gautiers de Villers à Verson. Celle-ci était en train d’écosser des pois avec ses deux servantes. « Je viens te dire adieu, dit Charlotte, j’ai un voyage à faire. » Elle paraissait assez émue. On parla de choses indifférentes. Tout à cou, Charlotte saisit une poignée de pois en cosses, les écrasa, les jeta à terre. Puis, après avoir embrassé sa parente à plusieurs reprises, elle disparut.

On assure qu’elle aurait tenu, devant un menuisier qui habitait au-dessous de Madame de Bretteville, ce propos : « Non, il ne sera pas dit qu’un Marat a régné sur la France ! » Mais le propos a-t-il été réellement tenu, ou inventé après coup ? Quoi qu’il en soit, Charlotte semblait fort enjouée, lorsqu’elle partit pour Paris. Elle était sortie de chez elle, emportant un carton et des crayons, comme si elle allait dessiner dans la campagne : elle les donna au fils de ce menuisier, Louis Lunel. « Tiens, lui dit-elle, voilà pour toi, sois bien sage, et embrasse-moi. Tu ne me reverras plus ! »

Et de l’allure la plus dégagée, elle gagna le bureau des diligences de Paris. « L’Ange de l’assassinat » partait pour exécuter Marat. C’était le 9 juillet 1793, jour où les Girondins, répondant au rapport de Saint-Just du 8 juillet, montraient la vengeance prochaine, en signalaient les victimes, et nommaient Marat.

Charlotte Corday arriva le 11 juillet à Paris. Elle se fit conduire par un commissionnaire à un hôtel dont on venait de lui donner l’adresse : Hôtel de la Providence, rue des Vieux-Augustins, n° 19. Pendant que le garçon disposait sa chambre, elle engagea la conversation avec lui, et lui parla de l’insurrection de Caen, lui disant que 60 000 hommes marchaient sur Paris et que beaucoup les allaient rejoindre en Normandie ; elle s’informa à son tour de ce que l’on dit à Paris du Petit Marat, et apprit qu’il est malade et ne venait plus à la Convention.

C’est là, à la crête de la Montagne, qu’elle aurait voulu le frapper. Elle avait dessein de se coucher en arrivant ; elle changea d’avis, se fit indiquer le Palais-Royal et la rue Saint-Thomas-du-Louvre, où demeurait Lauze Duperret pour lequel elle avait des papiers et des lettres de Barbaroux. Elle se rendit chez lui et, ne le trouvant pas, laissa le paquet, avec annonce qu’elle viendrait le voir dans la soirée. Elle vint en effet et lui demanda — ce qui était l’objet apparent de son voyage — de l’accompagner chez le ministre de l’Intérieur afin de retirer des pièces dont Madame de Forbin, son amie, avait besoin pour toucher sa pension de chanoinesse, qu’on ne lui payait plus. La visite fut ajournée au lendemain. Lauze Duperret devait la venir prendre à son hôtel pour se rendre chez le ministre.

Il y vint en effet le lendemain, à dix heures, et la mena chez le ministre de l’Intérieur ; ils ne furent pas reçus : on leur dit de revenir dans la soirée. Le rendez-vous fut accepté, mais dans l’intervalle les scellés avaient été mis sur les papiers de Duperret, suspect d’être en relations avec ses collègues proscrits. Il se rendit dans l’après-midi à l’hôtel de Charlotte Corday pour lui dire que, dans cet état de choses, sa recommandation devait lui être plus nuisible qu’utile. Elle-même devait se dire que les papiers de son amie, restitués ou non, devraient avoir, en raison même de son intervention, peu de valeur après l’acte qu’elle méditait d’accomplir.

Les choses en restèrent là et la jeune fille pria le député de ne plus venir la revoir, et comme il lui demandait quand elle retournerait en Normandie, voulant lui remettre des lettres pour ses amis, elle lui répondit qu’elle lui donnerait prochainement de ses nouvelles. Puis au moment où il la quittait : « J’ai un conseil à vous donner : quittez la Convention ; vous ne pouvez plus y faire de bien. Allez à Caen rejoindre vos collègues, vos frères. »

Elle sentait qu’elle l’avait déjà bien compromis. Pourquoi cette visite à Duperret ? C’était la conséquence du prétexte qu’elle avait pris de venir à Paris dans l’intérêt de Madame de Forbin ; et peut-être avait-elle souhaité trouver à Paris un visage ami, un homme qu’elle pût voir, qui pût lui dire la situation de la ville, les dispositions de l’Assemblée. Elle n’avait pas mesuré l’étendue du péril auquel cette simple entrevue pouvait exposer le représentant qui l’avait accueillie.

Demeurée seule, elle écrivit son Adresse aux Français, exposé des motifs de l’acte qu’elle allait commettre, appel aux résolutions qu’elle voulait provoquer. Le lendemain fut tout entier à son action. Dès six heures du matin, elle est au Palais-Royal, elle attend l’ouverture des boutiques, prend des mains d’un crieur le jugement des neuf Orléanais, qui se vend dans les rues, et achète un couteau. Rentrée à l’hôtel, elle s’assure encore que Marat ne va point à la Convention. À onze heures et demie, elle monte en fiacre place des Victoires, et se fait conduire chez lui, rue des Cordeliers (de l’École de Médecine), n° 20. Les femmes qui sont là, la portière et Simone Évrard, la femme qui habite avec Marat, lui refusent l’entrée : il est malade, on ne peut lui dire quand il pourrait recevoir. Elle rentre à l’hôtel, elle lui écrit par la petite poste :

« Citoyen,

« J’arrive de Caen ; votre amour pour la patrie me fait supposer que vous connaîtrez avec plaisir les malheureux événements de cette partie de la République. Je me présenterai chez vous vers une heure, ayez la bonté de me recevoir et de m’accorder un moment d’entretien. Je vous mettrai à même de rendre un grand service à la patrie. »

Elle revient à sept heures et demie du soir, munie d’une autre lettre qu’elle se proposait de lui faire passer en cas de nouveau refus. La portière la voulait encore éconduire ; mais au bruit des instances de Charlotte, Simone Évrard prit les ordres de Marat, qui, ayant reçu la lettre et désireux de savoir ce qui se passait à Caen, la fit entrer. Il était dans son bain, vêtu d’un drap, les épaules et les bras nus, écrivant sur une planche posée par le travers de sa baignoire. Il s’informa de ce qui se faisait à Caen. Charlotte Corday lui parla de la réunion des députés, de la marche sur Paris, et comme il lui demandait les noms de ces députés, elle les nomma, et lui, les écrivant : « Dans peu de jours, je les ferai tous guillotiner à Paris, dit-il. »

Ce fut son arrêt de mort. Charlotte le frappa. « A moi, ma chère amie ! à moi ! » s’écria-t-il. A ce cri, Simone Évrard accourt. Elle trouve Charlotte Corday terrassée par le commissionnaire Laurent Bas dans l’antichambre. Elle la foule aux pieds, elle se précipite dans la pièce où est Marat, applique la main sur sa blessure ; mais le sang sort à gros bouillons. Un chirurgien-dentiste, principal locataire de la maison, arrive à son tour, essaye de mettre une compresse sur la plaie, aide à tirer le blessé de sa baignoire sanglante ; son pouls ne battait déjà plus, et à peine l’avait-on mis sur son lit qu’il était mort.

Le bruit de la mort de Marat s’était rapidement répandu aux alentours. Le commissaire de police du quartier, arrivant, trouva Charlotte Corday aux mains des hommes du poste du Théâtre-Français (Odéon), accourus les premiers ; il la fit passer dans le salon, et après avoir fait les constatations d’usage, procéda à son interrogatoire : c’est la première pièce de son procès. Le crime était flagrant : Charlotte Corday n’avait rien à nier.

« Interpellée de nous déclarer ce qui l’avait déterminée à commettre cet assassinat,

« A répondu qu’ayant vu la guerre civile sur le point de s’allumer dans toute la France, et persuadée que Marat était le principal auteur des désastres, elle avait préféré faire le sacrifice de sa vie pour sauver son pays. »

Elle raconta les circonstances du meurtre ; ce qu’on en sait résulte uniquement de ses déclarations. Elle avoua qu’il était prémédité, « qu’elle n’aurait pas quitté Caen si elle n’eût eu envie de l’effectuer. »

Passons sur l’interrogatoire que lui firent subir ensuite Maure, Legendre, Chabot et Drouet, pour arriver à l’instant où elle fut emmenée à la prison de l’Abbaye. Un moment on put croire qu elle n’irait pas jusque-là. Il était deux heures du matin, et la foule était toujours amassée à la porte. Quand elle parut, il s’éleva un tel cri de mort qu’elle crut que la multitude allait la mettre en pièces et elle s’évanouit. Lorsqu’elle reprit ses sens, elle s’étonna d’être encore en vie. Elle eût voulu accomplir ainsi son sacrifice, mais elle ne dit rien qui exprimât le regret. On l’entendait répéter : « J’ai rempli ma tâche ; d’autres feront le reste. »

Après son transfert à la Conciergerie, elle rédigea deux lettres, l’une adressée au député Barbaroux, l’autre à son père ainsi libellée : « Pardonnez-moi, mon cher papa, d’avoir disposé de mon existence sans votre permission. J’ai vengé bien des innocentes victimes. J’ai prévenu bien d’autres désastres. Le peuple, un jour désabusé, se réjouira d’être délivré de son tyran. Si j’ai cherché à vous persuader que je passais en Angleterre, c’est que j’espérais rester inconnue. J’en ai reconnu l’impossibilité. J’espère que vous ne serez pas tourmenté ; en tout cas, vous avez des défenseurs à Caen. J’ai pris pour défenseur Gustave Doulcet de Pontécoulant. Un tel attentat ne permet nulle défense. C’est pour la forme. Adieu, mon cher papa, je vous prie de m’oublier ou plutôt de vous réjouir de mon sort. La cause en est belle. J’embrasse ma sœur, que j’aime de tout mon cœur. N’oubliez pas ce vers de Corneille : Le crime fait la honte, et non pas l’échafaud ! C’est demain à huit heures que l’on me juge ».

Cette allusion à un vers de son aïeul, en rappelant à son père l’orgueil du nom et l’héroïsme du sang, semblait placer son action sous la sauvegarde du génie de sa famille. Elle défendait la faiblesse ou le reproche au cœur de son père, en lui montrant le peintre des sentiments romains, applaudissant d’avance à son dévouement.

Après le procès, l’accusateur public Fouquier-Tinville résuma les débats et conclut à la mort. Le défenseur sa leva. « L’accusée, dit-il, avoue le crime, elle avoue la longue préméditation, elle en avoue les circonstances les plus accablantes. Citoyens, voilà sa défense tout entière. Ce calme imperturbable et cette complète abnégation de soi-même, qui ne révèlent aucun remords en présence de la mort, ce calme et cette abnégation, sublimes sous un aspect, ne sont pas dans la nature ; ils ne peuvent s’expliquer que par l’exaltation du fanatisme politique qui lui a mis le poignard à la main. C’est à vous de juger de quel poids un fanatisme si inébranlable doit peser dans la balance de la justice. Je m’en rapporte à vos consciences. »

Les jurés portèrent à l’unanimité la peine de mort. Charlotte Corday entendit l’arrêt sans pâlir. Le président lui ayant demandé si elle avait à parler sur la nature de la peine qui lui était infligée, elle dédaigna de répondre ; et s’approchant de son défenseur, « Monsieur, lui dit-elle d’une voix pénétrante et douce, vous m’avez défendue comme je voulais l’être, je vous en remercie ; je vous dois un témoignage de ma reconnaissance et de mon estime, je vous l’offre digne de vous. Ces messieurs (en montrant les juges) viennent de déclarer mes biens confisqués ; je dois quelque chose à la prison, je vous lègue cette dette à acquitter pour moi. »

Pendant qu’on l’interrogeait et que les jurés recueillaient ses réponses, elle avait aperçu dans l’auditoire un peintre qui dessinait ses traits. Sans s’interrompre, elle s’était tournée avec complaisance et en souriant du côté de l’artiste pour qu’il pût mieux retracer son image. Elle pensait à l’immortalité. Elle posait déjà devant l’avenir.

Rentrée à la Conciergerie, qui allait la rendre dans peu d’instants à l’échafaud, Charlotte Corday sourit à ses compagnons de prison, rangées dans les corridors et dans les cours pour la voir passer. Elle dit au concierge : « J’avais espéré que nous déjeunerions encore ensemble ; mais les juges m’ont retenue là-haut si longtemps qu’il faut me pardonner de vous avoir manqué de parole. » Le bourreau entra. Elle lui demanda une minute pour achever une lettre commencée. Cette lettre n’était ni une faiblesse ni un attendrissement de son âme : c’était le cri de l’amitié indignée qui veut laisser un reproche immortel à la lâcheté d’un abandon.

Elle était adressée à Doulcet de Pontécoulant, qu’elle avait connu chez sa tante et qu’elle croyait avoir invoqué en vain pour défenseur. Voici ce billet : « Doulcet de Pontécoulant est un lâche d’avoir refusé de me défendre lorsque la chose était si facile. Celui qui l’a fait s’en est acquitté avec toute la dignité possible. Je lui en conserverai ma reconnaissance jusqu’au dernier moment. » Cette vengeance frappait à faux sur celui qu’elle accusait du bord de la tombe. Le jeune Pontécoulant, absent de Paris, n’avait pas reçu la lettre : sa générosité et son courage répondaient de son acceptation. Charlotte emportait une erreur et une injustice à l’échafaud.

Bientôt, un prêtre autorisé par l’accusateur public se présenta, selon l’usage, pour lui offrir les consolations de la religion. « Remerciez, lui dit-elle avec une grâce affectueuse, ceux qui ont eu l’attention de vous envoyer ; mais je n’ai pas besoin de votre ministère ; le sang que j’ai versé et mon sang que je vais répandre sont les seuls sacrifices que je puisse offrir à l’Éternel. » L’exécuteur lui coupa les cheveux, lui lia les mains et la revêtit de la chemise des suppliciés. « Voilà, dit-elle en souriant, la toilette de la mort faite par des mains un peu rudes ; mais elle conduit à l’immortalité. » Elle ramassa ses longs cheveux, les regarda une dernière fois et les donna à madame Richard, la femme du concierge.

Au moment où elle monta sur la charrette pour aller au supplice, un orage éclatait sur Paris. Les éclairs et la pluie ne dispersèrent pas la foule qui encombrait les places, les ponts, les rues sur la route du cortège. Des hordes de femmes forcenées la poursuivaient de leur malédiction. Insensible à ces outrages, elle promenait un regard rayonnant de sérénité et de pitié sur ce peuple. Le ciel s’était éclairci. La pluie, qui collait ses vêtements sur ses membres, dessinait sous la laine humide les gracieux contours de son corps comme ceux d’une femme sortant du bain. Ses mains, liées dans le dos, la forçaient à relever la tête ; cette contrainte des muscles donnait plus de fixité à son attitude et faisait ressortir les courbes de sa stature.

Le soleil couchant éclairait son front de rayons semblables à une auréole. Les couleurs de ses joues, relevées par les reflets de sa chemise rouge, donnaient à son visage une splendeur dont les yeux étaient éblouis. On ne savait si c’était l’apothéose ou le supplice de la beauté que suivait ce tumultueux cortège. Robespierre, Danton, Camille Desmoulins s’étaient placés sur le passage pour l’entrevoir. Tous ceux qui avaient le pressentiment de l’assassinat étaient curieux d’étudier sur ses traits l’expression du fanatisme qui pouvait les menacer demain. Elle ressemblait à la vengeance céleste satisfaite et transfigurée. Elle paraissait par moments chercher dans ces milliers de visages un regard d’intelligence sur lequel son regard pût se reposer.

La charrette s’arrêta. Charlotte pâlit en voyant l’instrument du supplice. Elle reprit promptement ses couleurs naturelles et monta les marches glissantes de l’échafaud d’un pas aussi ferme et aussi léger que le permettaient sa chemise traînante et ses mains liées. Quand l’exécuteur, pour lui découvrir le cou, arracha le fichu qui couvrait sa gorge, la pudeur humiliée lui donna plus d’émotion que la mort prochaine ; mais, reprenant sa sérénité et son élan presque joyeux vers l’éternité, elle plaça d’elle-même son cou sous la hache. Sa tête roula et rebondit. Un des valets du bourreau, nommé Legros, prit la tête d’une main et la souffleta de l’autre par une vile adulation au peuple. Les joues de Charlotte rougirent, dit-on, de l’outrage, comme si la dignité et la pudeur avaient survécu un moment au sentiment de la vie.

La foule irritée n’accepta pas l’hommage. Un frisson d’horreur parcourut la multitude et demanda vengeance de cette indignité. Cependant la violation de l’humanité ne s’arrêta pas là. L’infâme curiosité des maratistes chercha jusque sur les restes inanimés de la jeune fille les preuves du vice dont ses calomniateurs voulaient la flétrir. Sa vertu trouva son témoignage où ses ennemis cherchaient sa honte. Cette profanation de la beauté et de la mort attesta l’innocence de ses mœurs et de la virginité de son corps. Telle fut la fin de Marat. Telles furent la vie et la mort de Charlotte Corday.

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