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Ça s'est passé à Paris un 2 juin

Écrit le mercredi 31 mai 2017 17:58

mercredi, 31 mai 2017 17:58

Ça s'est passé à Paris un 2 juin

Le 2 juin 1793

Fin de la Révolution démocratique



La journée du 10 août 1792 avait renversé la monarchie, et livré le pouvoir aux divers partis populaires. L’un voulait qu’on en fît un usage modéré, l’autre un usage impitoyable : le premier, nommé la Gironde, représentait la justice ; le second, appelé la Montagne, représentait la force. Dans tous les combats qu’ils se livrèrent, le premier l’emporta, et le second fut vaincu : telle était la loi de leur double nature.

Ce fut la Montagne qui arrêta les poursuites contre les massacres de septembre, fit juger et condamner Louis XVI, créa le Tribunal révolutionnaire et le Comité de Salut public. La Gironde se vit chassée de poste en poste ; des Jacobins, par l’envahissement des Montagnards ; de la Commune, par la sortie de Pétion ; du ministère, par la retraite de Roland et de ses collègues ; de l’armée, par la défection de Dumouriez. Il ne lui restait plus que l’enceinte de la Convention ; la journée du 31 mai avait pour but de l’en arracher ; mais ses résultats se bornèrent à l’anéantissement de la commission des Douze, dont la création avait semblé rendre quelque force à la Gironde. La journée du 2&nbsp juin compléta l’œuvre de proscription.

Désormais l’attaque n’était plus dirigée contre un pouvoir, mais contre des personnes : échappée à Danton, elle échut à Robespierre et à Marat. Henriot mit à leur disposition la force armée. Le 1er juin, la Commune écrivit aux sections : Citoyens, restez debout ; les dangers de la patrie vous en font une loi suprême. Le soir, Marat se rendit à l’Hôtel de Ville, monta lui-même à l’horloge et sonna le tocsin : il invita les membres du conseil à ne pas désemparer qu’ils n’eussent obtenu le décret d’accusation contre les traîtres et les hommes d’État.

Toute la nuit se passa en préparatifs. Le dimanche matin, vers huit heures, Henriot se présente au conseil général, et déclare, au nom du peuple insurgé, qu’on ne déposerait les armes qu’après avoir triomphé. Ensuite il harangue les immenses attroupements formés sur la place de l’Hôlel de Ville. A dix heures, il arrive sur la place du Carrousel, et bientôt la Convention est investie par quatre-vingt mille hommes, dont la plupart ignorent ce qu’ils viennent faire.

Dans le nombre des députés proscrits, quelques-uns ont cru devoir s’abstenir de paraître à l’assemblée ; d’autres, plus courageux, s’y sont rendus. Dès l’ouverture de la séance, Lanjuinais est à la tribune. « Je demande, dit-il, à parler sur la générale qui bat dans tout Paris. » On l’interrompt par des cris à bas ! à bas ! Il veut la guerre civile ! il veut la contre-révolution ! il calomnie Paris ! il insulte le peuple ! Les menaces, les outrages, le tumulte n’ébranlent pas le courageux orateur, qui dénonce les projets de la Commune. Plusieurs Montagnards se précipitent vers la tribune pour en arracher Lanjuinais, qui s’écrie toujours avec la même force : « Je demande que toutes les autorités révolutionnaires de Paris soient cassées ; je demande que tout ce qu’elles ont fait depuis trois jours soit nul ; je demande que tous ceux qui voudront s’arroger une autorité nouvelle, contraire à la loi, soient mis hors la loi, et qu’il soit permis à tout citoyen de leur courir sus. »

A peine a-t-il achevé, que les pétitionnaires insurgés viennent réclamer son arrestation et celle de ses collègues. La droite demande l’ordre du jour, et la Convention y passe. Aussitôt les pétitionnaires sortent en menaçant ; on crie aux armes : un grand bruit se fait entendre au dehors. « Sauvez le peuple, dit un Montagnard, sauvez vos collègues en décrétant leur arrestation provisoire. » La droite et même une partie de la gauche répondent à cette invitation par un refus. « Nous partagerons tous leur sort », dit La Réveillère-Lepaux.

Cependant le Comité de Salut public, chargé de faire un rapport, propose une mesure conciliatoire. « Le Comité, dit Barrère, s’adresse au patriotisme, à la générosité des membres accusés : il leur demande la suspension de leur pouvoir, en leur représentant que c’est la seule raison qui puisse faire cesser les divisions qui affligent la république, et y ramener la paix. » Quelques députés, Isnard, Lanthénas, Dussaulx et Fauchet, déclarent se soumettre : Lanjuinais et Barbaroux persistent dans leur héroïque résistance. C’est alors que le premier prononce ces paroles sublimes, dont le souvenir s’attache éternellement à son nom. Au reste, les Montagnards conjurés s’élèvent eux-mêmes contre la proposition du Comité. Marat prétend qu’il faut être pur pour faire des sacrifices : Billaud-Varennes demande le jugement des Girondins, et non leur suspension.

Pendant ce débat, un député de la Montagne, Lacroix, entre précipitamment dans la salle, s’élance à la tribune, déclare qu’il vient d’être insulté à la porte, qu’on l’a empêché de sortir, et que la Convention n’est pas libre. A ces mots, les Montagnards eux-mêmes se croient en danger, et s’emportent en invectives contre Henriot. Danton dit qu’il faut venger rigoureusement la majesté nationale outragée. « C’en est trop, s’écrie Barrère, un grand crime se consomme ; c’est celui de la Commune, de son comité central, de cet affreux comité tout composé d’hommes suspects, d’étrangers. On distribue dans ce moment aux troupes qui nous assiègent des assignats de cinq livres. »

Il propose à l’assemblée de sortir tout entière, le président à sa tête, pour reconnaître enfin si elle est libre. Tous les députés se lèvent, et, à la suite de leur président, couvert en signe de détresse, précédés de leurs huissiers, ils sortent de la salle. Marat, qui craint l’effet de cette démarche, les devance et parcourt les rangs des insurgés. « Point de faiblesse, leur crie-t-il ; ne quittez pas votre poste qu’on ne vous les ait livrés. » La Convention s’avance à travers une haie bordée de piques et de baïonnettes jusqu’au vestibule, et se présente à la porte qui donne sur la place du Carrousel. Elle y trouve Henriot à cheval et le sabre à la main. « Que demande le peuple ? dit le » président Hérault de Séchelles ; la Convention n’est occupée que de son bonheur. »

Henriot, enfonçant avec véhémence son chapeau sur sa tête, lui répond : « Le peuple n’est pas venu pour entendre des phrases : il veut qu’on lui livre vingt-quatre coupables. — Qu’on nous livre tous, s’écrient ceux qui entourent le président. » Henriot se retourne alors vers les siens, et crie : « Canonniers, à vos pièces ! » Deux canons sont pointés sur la Convention, qui recule, entre dans le jardin, et se présente à plusieurs passages, qu’elle trouve fermés. Elle tente un dernier effort au Pont-Tournant. Marat s’avance à la tête d’une horde infâme. « Mandataires du peuple, dit-il d’une voix arrogante, je vous ordonne, en son nom, de rentrer dans le lieu ordinaire de vos séances et d’y reprendre vos fonctions. »

Intimidée par tant d’audace, la Convention rentre dans la salle de l’assemblée, et proclame qu’elle est libre. Couthon monte à la tribune, où il prodigue une grossière ironie. L’arrestation des proscrits n’est plus combattue : Marat décide, en vrai dictateur, du sort de ses collègues. Il révise la liste fatale tracée par Couthon. « Dussaulx, dit-il, est un vieillard radoteur, incapable d’être chef de parti ; Lanthénas est un pauvre d’esprit, qui ne mérite pas qu’on songe à lui ; Ducos n’a eu que quelques opinions erronées, et ne saurait être un chef contre-révolutionnaire. Je demande qu’on les excepte, et qu’on les remplace par Valazé. »

On fait droit à cette demande, et la liste est composée ainsi qu’il suit : Gensonné, Guadet, Brissot, Gorsas, Pétion, Vergniaud, Salles, Barbaroux, Chambon, Buzot, Birotteau, Lidou, Rabaud, Lasource, Lanjuinais, Grangeneuve, Lehardy, Lesage, Louvet, Valazé, le ministre des affaires étrangères Lebrun, le ministre des contributions Clavière, et les membres des Douze Kervelegan, Gardien, Rabault-Saint-Etienne, Boileau, Bertrand, Vigée, Mollevaut, Henri Larivière, Gomaire et Bergoing. Le décret d’arrestation est immédiatement exécuté sur plusieurs des proscrits : les autres s’y dérobent par la fuite.

« Dès ce moment, dit un historien, la consigne qui retenait l’assemblée prisonnière fut levée, et la multitude s’écoula ; mais dès ce moment aussi il n’y eut plus de Convention libre. » Ainsi tomba ce célèbre parti de la Gironde, sur lequel la hache révolutionnaire demeura suspendue durant cinq mois, avant de le frapper.

La Révolution démocratique est morte. La Terreur républicaine allait commencer.

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