Actualités
Actualités
Petite histoire des charpentiers

Écrit le mercredi 11 avril 2018 03:04

mercredi, 11 avril 2018 03:04

Petite histoire des charpentiers

Petite histoire des charpentiers


Antérieurement au neuvième siècle, en France, les charpentiers sont appelés fabri lignarii : ce sont eux qui emploient le bois de charpente pour construire les étagements et les combles des édifices. A cette époque, le mot carpentarius ne désigne encore que le charron, celui qui fait les chariots, les carpenta ; mais, à partir de ce moment, ce mot désigne en général tous ceux qui travaillent le bois, et en particulier deux sortes d’artisans : les charpentiers et les menuisiers ; les uns sont appelés charpentiers de la grande cognée, les autres charpentiers de la petite cognée.

Parmi les plus anciens statuts qui nous font connaître l’organisation de la corporation des charpentiers, on doit consulter ceux qui se trouvent insérés dans le Livre des Métiers d’Étienne Boileau. Ces règlements du treizième siècle ne sont pas à proprement parler des statuts ; ce ne sont que des « records », c’est-à-dire des dépositions de témoins relatives aux usages auxquels se conformaient à ce moment les gens du métier.

Ils sont dus à la déposition d’un maître de la corporation, nommé Foulques du Temple, qui était apparemment maître du roi ; ils ont trait non seulement aux charpentiers, mais aussi aux « huichiers, huissiers, tonneliers, charrons, couvreurs de mesons, et à toutes manières d’autres ouvriers qui euvrent du trenchant en merrien », tous ceux, en un mot, qui faisaient de gros ouvrages de bois.

Ces statuts n’offrent pas de dispositions bien caractéristiques. Ils défendent le travail du dimanche ; une réserve est faite cependant dans le cas où les huissiers ou fabricants de portes auraient vendu des portes ou des fenêtres pour clore des maisons ; les propriétaires peuvent exiger qu’on les place de suite, sans avoir égard aux jours fériés. Il y a là une raison de sécurité. Le roi, la reine ou leur famille, ainsi que l’évêque de Paris, pouvaient seuls faire travailler la nuit.

Les autres dispositions des statuts concernent l’apprentissage, qui doit durer quatre ans ; chaque maître ne peut avoir qu’un seul apprenti à la fois. A part cela, nous n’y trouvons guère que des indications sur la qualité des bois qui doivent être employés, la manière dont ils doivent être assemblés, etc.

Retenons cependant qu’à ce moment le maître charpentier du roi exerçait la juridiction sur tous les autres. Ses émoluments étaient, du reste, assez maigres : dix-huit deniers par jour et une robe d’une valeur de cent sous à la Toussaint. A la suite de contestations avec les seigneurs hauts justiciers, Philippe le Bel abolit la juridiction du charpentier du roi.

Cette alliance entre tous les ouvriers qui travaillent le bois ne paraît pas avoir toujours duré ; les huchiers ou faiseurs d’armoires, de coffres, de buffets, et les tonneliers se séparent de bonne heure des charpentiers. En revanche, ceux-ci se rattachèrent par certains côtés à la corporation des maçons : ainsi à Paris, les jurés de la maçonnerie et ceux de la charpenterie ne remplissaient guère leurs fonctions l’un sans l’autre ; ils étaient chargés de visiter les maisons et de voir si elles présentaient les garanties nécessaires de solidité.

Ces charpentiers et ces maçons faisaient tout à fait l’office d’architectes ; ils jugeaient de tout ce qui avait rapport aux bâtiments, et même des questions de voirie. On peut dire qu’à la fin du quinzième siècle, les ouvriers charpentiers et menuisiers ne composaient qu’une seule corporation.

Dans les nouveaux statuts qui leur furent données en 1467, nous voyons la corporation dirigée par six jurés à vie. Les membres se divisaient en jurés, bacheliers ou maîtres, varlets ou apprentis. Les jurés pouvaient avoir deux apprentis, les bacheliers un seul.

Pour passer bachelier, il fallait bien entendu, connaître suffisamment le métier, et de plus jouir d’une bonne renommée : c’était une garantie qui peut paraître indispensable, puisqu’on leur confiait des apprentis, mais qui cependant n’est pas mentionnée dans beaucoup de statuts de corporations.

Les ouvriers étrangers pouvaient entrer dans la communauté ; mais on exigeait d’eux qu’ils travaillassent deux mois sous la direction de deux jurés ou de deux bacheliers. Craignait-on des innovations dans les procédés de fabrication, ou bien voulait-on les mettre au courant des usages de leur communauté d’adoption ? L’un l’autre peut-être.

Les statuts des charpentiers de la ville d’Angers nous font pénétrer avec assez de détails dans les usages de la corporation. L’élection des maîtres jurés ou gardes du métier avait lieu le jour de Sainte-Anne ; du reste, saint Joseph et sainte Anne se sont toujours partagé le patronage des charpentiers. Chaque maître devait payer chaque année à la confrérie de Sainte-Anne huit sous quatre deniers tournois, et de plus, chaque semaine, deux deniers ; les compagnons ne payaient qu’un denier par semaine.

Ce qui importait le plus était le chef-d’œuvre, épreuve suprême du compagnon rompu à la pratique de toutes les difficultés du métier, et qui seule pouvait, en lui donnant le titre de maître, lui conférer le droit d’avoir un atelier ou une boutique. C’était une épreuve coûteuse ; le chef-d’œuvre devait valoir cent sous au moins. Comme il ne s’agissait pas de confectionner rapidement un objet sous les yeux des jurés, mais d’une œuvre de construction longue et difficile, le compagnon qui témoignait le désir de se soumettre à cette épreuve était enfermé, pendant qu’il accomplissait son travail, chez un maître qui jurait de ne point l’y aider.

Visité de temps en temps par les jurés, son chef-d’œuvre une fois terminé, le compagnon le leur présentait : c’était d’ordinaire une charpente complète exécutée en miniature. Si le travail était jugé suffisant, le compagnon prêtait devant le prêvot d’Angers le serment de se conformer aux statuts, et acquittait un droit de quarante sous tournois dont vingt revenaient au roi, dix aux jurés et dix à la confrérie.

Une seule formalité restait à accomplir pour qu’il fût définitivement reçu maître, et c’était celle que les jurés et les maîtres goûtaient sans doute le plus : il leur payait un dîner.

On voit que la maîtrise n’était pas à la portée de toutes les bourses. Pour les fils de maître, les formalités étaient moins coûteuses, et, au Moyen Age, la plupart des métiers s’exerçant de père en fils, il devait être relativement rare qu’un compagnon fût forcé de faire autant de dépenses pour sa réception. D’ailleurs, dans certaines villes, à Paris, par exemple, le chef-d’œuvre était vendu, et le récipiendaire touchait la moitié du prix ; l’autre moitié était distribuée aux compagnons.

Les statuts d’Angers nous donnent aussi certains détails sur la solidarité qui unissait tous les ouvriers charpentiers : c’est ainsi qu’un ouvrier qui n’était pas du pays et qui, n’y trouvant pas de travail, voulait aller chercher fortune ailleurs, recevait une légère indemnité de route : « Et pour l’onnesté du dit mestier, s’il advenoit que aucun passant pays, ouvrier du dit mestier, ne treuve qui le mecte en besoigne en ladite ville et il afferme par serment n’avoir de quoy passer son chemin, en ce cas les dits jurez seront tenuz lui administrer sa reffection pour un repas seulement, et en outre lui donner deux solz six deniers tournois pour passer oultre son chemin, aux despens de la boeste (la caisse) du dit mestier. »

Ces règlements ne nous disent pas, comme ceux de Paris, que les maîtres doivent être de bonne renommée ; ils vont plus loin et s’inquiètent de leur mariage : ils ne doivent épouser que des femmes réputées honnêtes, faute de quoi ils ne pourront jamais témoigner dans les contestations qui peuvent survenir entre les confrères.

A Tours, nous trouvons des statuts analogues ; notons toutefois une particularité : le nouveau maître doit payer vingt-sept sous au maire de la ville pour la réparation des murailles et l’entretien des rues. Dans certains cas, lorsqu’il a contrevenu plusieurs fois aux règlements de la communauté, le maître peut être suspendu pendant un an, peine très dure, puisque, bien souvent, elle pouvait entraîner la ruine de celui qu’elle frappait.

La corporation des charpentiers dura jusqu’à la Révolution ; nous ne croyons même pas trop nous avancer en disant qu’elle survécut à la Révolution. Presque seule de tous les corps de métiers qui existaient autrefois en France, elle a gardé, du moins en grande partie, son ancienne organisation.

Tous les ouvriers ne sont plus, bien entendu, forcés de faire partie de l’association, puisque tout le monde peut exercer ce métier sans qu’elle ait le pouvoir de s’y opposer ; mais le plus grand nombre y sont cependant affiliés, ce qui a pour résultat de maintenir dans le corps de métier certaines traditions et certains procédés qui ne peuvent qu’être profitables à la qualité des travaux.

Cette association est aussi en quelque sorte une société de secours mutuels, car tout membre doit faire en y entrant le serment de prêter aide et assistance à ses confrères. Par certaines cérémonies d’initiation, par l’usage de certains signes de reconnaissance qui doivent servir aux compagnons dans leurs voyages, elle tient aussi de la société secrète ; enfin, par la nécessité d’exécuter un chef-d’œuvre pour en faire partie, elle rappelle les corporations de l’ancienne France.

Il nous reste à dire quelques mots d’une catégorie de charpentiers très distincte, des charpentiers de navires, de « nez », comme on disait au Moyen Age. Les charpentiers qui travaillaient dans les arsenaux du roi formaient une communauté à part. Chez eux, la maîtrise comprenait deux degrés : il y avait les maîtres jurés du roi, qui devaient avoir au moins cinq années de maîtrise et les maîtres simples.

Le doyen des premiers était le roi le doyen de la communauté, et c’était toujours parmi eux que l’on choisissait le syndic et les quatre jurés du métiers, renouvelés deux par deux tous les ans.

Au-dessous des jurés et des maîtres, il y avait des contre-maîtres et de simples charpentiers. Les fonctions des jurés et des maîtres furent réglées par l’ordonnance de Louis XIV pour les armées navales et arsenaux, en 1689. Ils étaient chargés de la visite des bois travaillés et non travaillés, et en général de l’inspection de tous les travaux dans les arsenaux. Ils devaient faire les modèles des vaisseaux qui étaient ensuite exécutés sous leur surveillance. Il y avait un maître spécialement préposé aux radoubs, et qui assistait à la visite des vaisseaux qu’on se proposait de radoubler et donnait son avis.

Les maîtres charpentiers du roi devaient, pour être admis, avoir travaillé quelque temps dans les ports et exécuter un chef-d’œuvre, qui consistait d’ordinaire dans la construction d’un gouvernail ou d’un cabestan.

Les charpentiers de navires reçurent, comme l’un d’eux, Pierre le Grand quand il vint en Europe (la Moscovie n’en faisait guère partie à cette époque) ; il voulut apprendre lui-même leur métier pour pouvoir surveiller la construction de ses vaisseaux.

Rappelons aussi que lorsque l’auteur de l’Émile parle de la nécessité de faire appendre un métier aux jeunes gens, c’est le métier de charpentier qu’il choisit entre tous, comme un des plus utiles et des plus propres à développer les qualités physiques et morales de son héros.

Connectez-vous pour commenter