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La circulation à Paris au début du XXè siècle: ça ne vous rappelle rien ?

Écrit le jeudi 8 février 2018 06:17

jeudi, 08 février 2018 06:17

La circulation à Paris au début du XXè siècle: ça ne vous rappelle rien ?

La circulation à Paris au début du XXè siècle: ça ne vous rappelle rien ?


En 1909, cependant que les rues de la capitale sont sillonnées par toutes sortes de véhicules et que le métropolitain ne suffit plus à contenir une circulation déjà considérée comme envahissante, un chroniqueur du Mois littéraire et pittoresque rappelle qu’on présentait déjà comme nuisible la présence de carrosses en 1653, et nous promet que l’avènement prochain de l’aéroplane pour pallier cet encombrement ne saurait être la solution
Deux des premiers carrosses de Paris, disent les mémoires du temps, furent ceux de la reine Catherine, femme d’Henri II, et de Diane de Poitiers. A l’époque de cette circulation restreinte, le comble des combles du sybaritisme consistait à faire orner son carrosse de bonne paille pour y être confortablement.

On lit, plus tard, dans les Lettres de Madame, aux jours du financier Law : « Il vient tous les jours à Paris des gens de tous les coins de l’Europe, de toutes sortes de nations. Depuis un mois, il y a 305 000 âmes de plus à Paris... Paris est si rempli de carrosses qu’on ne peut passer dans une seule rue sans embarras et sans blesser ou tuer quelqu’un. »

La preuve du péril que causait la circulation des graves carrosses bien avant les autobus, c’est une supplique du Parlement adressée au roi en 1653, dans laquelle il réclamait l’interdiction de l’usage des carrosses à l’intérieur de Paris comme dangereux pour la circulation (des piétons, sans doute).

Sous la Restauration, au commencement du règne de Louis-Philippe, Paris comptait quelque 400 cabriolets à une place et à un franc, dans lesquels le client, assis à côté de l’automédon, était escamoté avec lui sous la capote quand Pégase s’abattait. Le public se plaignait vivement des éclaboussures que causaient ces rares et aristocrates véhicules. Il y avait en outre, çà et là, quelques fiacres à deux chevaux et un certain nombre de coucous à une seule haridelle pour mener hors barrière. Un seul coucou d’alors remplaçait plus de vingt trains de banlieue du début du XXe siècle.

Cette circulation, qu’on déclarait alors intense, suffisait à la gloire de la première ville du monde qui avait déjà dédaigneusement renoncé aux chaises à porteur du grand siècle. Combien ces temps heureux de la petite vitesse sont loin ! Le recensement d’avril 1908 accuse dans la capitale agrandie plus de 230 000 véhicules éclabousseurs et écraseurs, au nombre desquels 14 000 fiacres, breaks et voitures de remise. Le recensement de 1908, dit le Gaulois, dénonce à Paris 50 000 automobiles montées par 50 000 chauffeurs ; mettons qu’il y ait un zéro de trop, c’est encore formidable, assène notre chroniqueur.

Si la circulation envahissante se contentait de cette armée de chars à pneus, le piéton aurait encore bien des chances de survivre ; mais il y a l’omnibus, le tramway et l’autobus, mastodonte du XXe siècle. En 1819, le préfet de police, au nom de la sécurité, refusa l’autorisation à une modeste Compagnie qui désirait un service de voitures le long des rives de la Seine. Il invoquait que cela « entraverait la circulation ». Bien plus tard, sous le second Empire, le premier tramway autorisé en banlieue devait, pour continuer sa course dans Paris sur le large quai de la Terrasse, abandonner les rails et changer laborieusement de roues au moyen de crics.

Cependant, la circulation montant et triomphant des obstacles, le pouvoir autorisa en 1854 une Compagnie générale des omnibus, formée de la fusion des diverses lignes, à faire rouler dans tout Paris 400 voitures surmontées d’impériales. Et — ô stupeur ! — ces caravansérails roulants transportèrent en une seule année 34 millions de voyageurs ! Quel tapage autour de ce chiffre fantastique ! Où allons-nous ? disait-on, et l’Empire créait des boulevards, élargissait les anciennes rues afin d’ouvrir des brèches à l’omnibus conquérant.

Au moment de la guerre de 1870, quand la copieuse cavalerie des omnibus fut requise pour les transports militaires, la Compagnie faisait circuler 764 voitures ornées de toutes les lettres de l’alphabet, et elles transportaient non plus 34 millions, mais déjà 119 millions de Parisiens par an. Au début du XXe siècle, les omnibus ou tramways ont quadruplé, ils sont près de 3000. En outre, comme une volée de mouches dangereuses, 165 000 bicyclettes entrées dans la circulation se déploient en tirailleurs jusque sur les trottoirs.

On ne sait si la lune est habitable, raille le journaliste du Mois littéraire, mais au XXe siècle de l’ère chrétienne, l’ancienne Lutèce, à force de civilisation, est certainement devenue inhabitable malgré les refuges offerts çà et là aux piétons, comme autrefois certains asiles aux condamnés à mort.

Des rues et boulevards bourrés de circulation et ne pouvant plus s’élargir, naquit l’idée géniale de percer des voies souterraines qui dégageraient le macadam. Le public, avide de circulation, se plongea avec impétuosité dans ces égouts éclairés jour et nuit, et le nombre des voyageurs montant sans cesse arriva en 1905 à 149 millions ; en 1906, 165 millions ; en 1907, 195 millions ; en 1908, 228 millions, c’est-à-dire cinq ou six fois la population de la France passée en ce petit tube parisien, long de 45 kilomètres.

Par suite des couches innombrables de harengs qui aspirent à y être entassés, poursuit notre chroniqueur, le métropolitain lui-même devient inhabitable, car, au lieu d’être écrasé sous les voitures, on est écrasé dedans. Aussi, ne pouvant s’élargir, hélas ! il va, dit-on, accroître sa vitesse et multiplier ses trains de minute en minute, au lieu de 3 en 3 minutes. Mais l’encombrement nouveau créé sous terre par la fourmilière humaine du métro n’a pas diminué la cohue circulant sous le soleil. L’accélération, au contraire, s’accroît tellement que les lignes d’omnibus qui s’étaient supprimées par désespoir sur le parcours du nouveau métropolitain se sont reconstituées, et voici qu’elles ne suffisent plus.

Évidemment, l’esprit de vertige qui oblige la pauvre humanité à circuler de plus en plus exige un progrès plus radical que les souterrains même à deux ou trois étages, et, comme le besoin crée l’organe, l’aéroplane a paru ! Les essais de ce nouveau facteur du tourbillon de la course sont encore timides, et je dirai personnels, explique le journaliste. Ce fut ainsi pour les débuts des chemins de fer et de l’automobilisme ; pour le métro lui-même, on procéda en petit et par voie étroite. Ici, on sera plus hardi.

Écoutons ce qu’on dit : à Berlin, un conseiller, Rudolf Martin, écrivain bien connu, en une conférence audacieuse, vient d’envisager la question avec ampleur ; il propose tout de suite l’invasion de l’Angleterre par des oiseaux allemands. Ce n’est pas, du reste, folie indigne du génie, car déjà, dans une de ses lettres, Napoléon fait examiner un projet de cent montgolfières, monstres larges de cent mètres de diamètre pour traverser le Pas-de-Calais avec des canons.

En effet, le général Clarke, ministre de la Guerre, soumit à l’empereur le projet d’un sieur Lhomond, ex-chef de bataillon d’aérostiers, qui proposait d’opérer une descente en Angleterre au moyen de cent montgolfières de cent mètres de diamètre, dont la nacelle pourrait contenir 1 000 hommes, avec des vivres pour quinze jours, deux pièces de canon avec caissons, 25 chevaux et le bois nécessaire pour alimenter les montgolfières. Napoléon fit suivre la proposition de ces mots : « Renvoyé à M. Monge pour savoir si cela vaut la peine de faire une expérience en grand. »

Et les moyens étaient alors tout à fait primitifs. Le conférencier berlinois ne doit donc pas être méprisé et traité d’utopiste pour avoir considéré l’éventualité d’une flotte aérienne qui enlèverait à la Grande-Bretagne sa puissance spéciale. Des Zeppelins armés de bombes, dit-il, peuvent bloquer l’embouchure de la Tamise, mais combien se montre plus pratique l’aéroplane naissant ! M. Martin propose donc carrément de construire ces machines en fabrique et à l’emporte-pièce, 50 000 à la fois. Deux hommes par machine déposeraient à chaque voyage 100 000 hommes. Ce n’est, remarque-t-il, qu’une question d’argent.

En Angleterre, sir Hiram-Maxim, interviewé sur cette conférence faite à Berlin, répond qu’il n’est pas douteux qu’on puisse conduire aujourd’hui des aéroplanes ayant des motrices de 60 et 100 chevaux qui voleraient à 50 miles à l’heure, porteraient une demi-tonne, et resteraient en l’air cinq heures consécutives.

En conséquence, dit-il, ces aéroplanes ayant 5 ou 6 hommes à bord, outre le conducteur, et assez de pétrole pour traverser la Manche sans arrêt, pourraient déposer en une nuit chacun 20 hommes sur le sol anglais, et 5 000 aéroplanes seulement fourniraient les 100 000 hommes. Or, 5 000 aéroplanes, dans l’état encore restreint de l’invention, coûteraient au plus chacun 37 500 francs, soit, pour 5 000 aéroplanes, 187 millions de francs, chiffre très abordable dans le bilan d’une guerre moderne. (Le système allemand de M. Martin demanderait la somme exagérée de 1 260 millions.)

Mais, pour rester en France, pays natal de l’aviation, R. Quinton, le président de la « ligue aérienne », à qui les Chambres ont voté une première subvention de 100 000 francs (et qui comprend en son Comité directeur dix hautes personnalités de l’Académie des sciences et de l’Institut), a traité la question plus sérieusement en une réunion d’industriels. Il expose les raisons qui vont faire de l’aviation une industrie du plus grand avenir.

« Les aéroplanes, dit-il, permettront d’atteindre des vitesses inconnues jusqu’à présent et à des prix de revient très économiques. L’aéroplane sera relativement sans danger, car les chutes — en cas de panne du moteur — seront de simples glissades... Enfin, le mode de transport aérien permettra de communiquer avec la plus grande facilité et une extrême rapidité entre des pays — l’Europe et l’Asie, par exemple — que n’avait jamais reliés jusqu’ici un réseau de voies ferrées suffisant. »

M. Quinton ajouta que, avant quelques années, les Indes seront à moins de deux jours de Paris. De même, des îles ou des continents, séparés par des bras de mer peu importants, pourront communiquer largement par la voie des airs. « Avant cinq ans, l’Angleterre aura cessé d’être une île. »

Le prix très faible auquel reviendront les aéroplanes, le peu d’essence qu’ils consommeront feront que l’industrie de l’aviation égalera, avant peu d’années, celle de l’automobile, qui représente en France un mouvement industriel de 500 millions par an.

Si nous avons cité ces points de vue mirobolants, poursuit le journaliste du Mois littéraire, c’est afin de montrer que, même à l’état naissant, l’aéroplane apparaît comme un facteur nouveau et considérable de la circulation ici-bas, pourvu qu’on l’applique en grand et sans timidité et non par de mesquins essais et tâtonnements comme, à l’origine, cela eut lieu pour les chemins de fer.

Revenons, de bien loin, au problème de la circulation à Paris. Une Compagnie puissante de transport n’aura plus à s’occuper de trouver des chemins libres sur terre ou sous terre. La plaisanterie des gares sur les toits passe du domaine de la caricature dans celui de la réalité. La route immensément large de l’atmosphère est livrée ; elle existait partout sans travaux, mais la Providence n’en avait pas encore donné la clé aux petits humains.

L’humanité étant créée pour honorer et servir Dieu, les hommes qui s’agitent sur terre, sous terre ou en l’air — qu’ils le veuillent ou ne le veuillent pas — travaillent à la gloire du Créateur, et il peut fort bien entrer dans les plans divins que des millions de voyageurs quelconques aient la facilité de voltiger parce que l’Esprit-Saint a en vue le voyage d’une seule personne ayant mission. Le grand bateau de commerce qui, en se naufrageant, a porté saint Paul et 300 passagers vers l’Italie, ne se doutait pas qu’il organisait son voyage pour perdre ses marchandises et transférer l’Apôtre des nations à Rome.

Maintenant, l’aviation est-elle le dernier mot des conquêtes de la circulation des humains ? Nous ne le croyons pas, conclut notre chroniqueur : le soulier a détrôné le pied nu, l’âne a succédé au piéton, le char s’est emparé du cavalier, la chaise de poste a méprisé le coche, les diligences poudreuses ont paru un moment les reines du monde, les chemins de fer siffleurs ont bouleversé les malles-postes.

Les Salons de l’Automobile d’hier, avec leurs feux éclatants, ont cru pendant dix ans avoir conquis le domaine de la vitesse, et voici qu’il est question de supprimer ces Salons coûteux l’année prochaine pour ouvrir celui de l’aviation, et l’aviation a déjà envahi, le 24 décembre 1908, la seconde partie de l’Exposition automobile, elle y a même la place d’honneur. Un aérodrome coûteux a déjà été inauguré près Paris.

Or, de même que le succès de ces divers engins de locomotion n’a pu être prédit avant le règne de chacun d’eux, de même les plus fécondes imaginations ne sauraient prédire quels nouveaux secrets la Sagesse divine livrera demain aux fiers inventeurs qui sortiront de l’œuf.

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